À côté d'un chameau, chargé de marchandise,
Faisait route un baudet portant mainte valise ;
C'était un nain près d'un géant.
Nourrissant toutefois d'orgueilleuses pensées,
Le superbe grison, pour paraître d'autant,
Marchait le front levé, les oreilles dressées.
Sous une arcade ils vinrent à passer ;
L'animal au long cou, forcé de se baisser,
Tranquillement fit ce qu'il devait faire ;
L'âne aussitôt de ployer les genoux,
D'avancer tête basse et ventre contre terre.
Le conducteur le voit, et d'un ton de courroux :
Que fais- tu là ? dit- il.-Je fais comme mon frère,
Repart le plus vain des grisons ;
Sommes- nous de stature
A passer sous cet arc sans incliner nos fronts ?
La sotte bête avec usure
Faillit payer ces mots ;
Déjà Martin bâton, levé d'une main sûre,
Allait lui fondre sur le dos,
Quand tout à coup le marchand se ravise,
Et gaiment du baudet veut punir la sottise.

Arrive l'heure du repas ;
On fait halte, on ôte les bats ;
L'aveine du sac est tirée ;
En deux parts elle est mesurée.
L'âne, plein d'appétit, en voyant cet apprêt,
Se réjouit, et prend place au banquet.
Soudain, lui retirant la friande pâture,
-Tout doux, dit le marchand ; toi qui veux en stature
Au chameau t'égaler, animal sot et vain,
Aussi haut que ton frère atteins ton picotin.
Disant ces mots, il élève l'aveine
Dix pieds en l'air. Qui fut alors en peine ?
Ce fut le fier grison ;
il dut jeûner ; il fit triste figure ;
Mais profitant de la leçon,
Il reprit la modeste allure
Qui convient an baudet.

Les ânes d'aujourd'hui sont d'une autre nature ;
Vainement voudrait- on rabattre leur caquet :
Hs se disent géants, et montrent leur brevet,
Contre- signédes nains de la littérature.

Fable 11




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