Un Veau naquit; en même temps
Une Jument du voisinage
Mit au monde un Poulain. Au même pâturage
Vivaient en bons amis les mères, les enfants.
Le Veau paya tribut, un jour, à la nature
Le même jour, par aventure,
Succomba la Jument. Que devint le Poulain ?
Pour tromper sa douleur de mère,
La Vache adopta l'orphelin.
On !e voyait bondir près de sa nourricière;
II ne la quittait plus. Son ancien maître en vain
Le voulut réclamer. L'autre propriétaire
Lui répondit: «Ma Vache enfanta ce Cheval.
Voyez donc de quel lait se nourrit l'animât
Voyez comme il la suit! C'est le fils, c'est la mère;
L'apparence est pour moi, prouvez-moi le contraires
II gagna son procès au premier tribunal.
Mais donnant suite à la querelle,
L'autre plaideur disait: « Malgré ce jugement,
Le Poulain, j'en suis sûr, est né de ma Jument.
C'est une erreur 3 et j'en appelle
Devant le magistrat voisin;
Il passe pour un sage, il verra mieux la chose. »
On alla le trouver; chacun plaida sa cause;
On parla longuement, mais on se tut enfin.
Le juge gardait le silence.
Jugez-nous, lui dit-on, quelle est votre sentence?
Lors, se tenant le ventre, il se lève en criant:
« Je suis prêt d'accoucher, je sens le mal d'enfant.
A d'autres, dit chacun, quelle est cette folie?
Vit-on jamais un homme atteint de pareil mal?
Le juge repartit « Mais vit-on, je vous prie,
Vit-on Vache jamais engendrer un Cheval ? »
Notes de la fable 5 :
Cet apologue n'a pas le même caractère que les autres fables sénégalaises; le sujet et la tournure en offrent quelque chose d'oriental; il pourrait bien avoir été introduit au Sénégal par les Maures.
Les nègres, dans cette fable, supposent que le juge se plaint d'être pris d'une incommodité périodique particulière aux femmes. J'ai cru devoir changer la nature du mal féminin que le juge dit éprouver; c'était nécessaire pour approprier l'apologue a la délicatesse, je dirais presque à la pruderie de la langue française.