La Trompette et le Galoubet Théodore Lorin (19è siècle)

« Cesse de m'opposer ta grêle et faible voix,
Disait au galoubet la trompette guerrière.
Je parle, et sur-le-champ la nation entière
Vole aux combats : pour toi, sous l'ombre de nos bois,
A peine assembles-tu quelques lourds villageois,
Parmes chants, des hauts faits la gloire est proclamée :
Organe de la renommée,
Plus d'un héros me doit son immortalité,
Et sans moi, tel nom si vanté
Ne retentirait point au temple de Mémoire. »
« Ma chère, interrompit le timide instrument,
Je suis loin d'aspirer à ton immense gloire :
Raisonnons un peu cependant,
Avant de te céder une entière victoire.
Tu sers dans ses travaux la déesse aux cent voix ;
Soit ; mais conviens-en toutefois,
Si l'on en croit certain malin poète,
Elle n'a pas toujours bien placé sa trompette.
A ses décrets soumettant ses accents,
Tu proclames, dis-tu, les hauts faits, les talents ;
Mais plus souvent encor n'a-t-on pas vu la brigue,
La camaraderie, et la ruse, et l'intrigue
De ta divinité dicter les jugements ?
Si tu chantes parfois les exploits éclatants
Qu'un jour célébrera l'histoire,
Nous te voyons aussi, dans une foire,
Mettre tes sons assourdissants
Au service des charlatans.
Tu donnes le signal des combats, du carnage :
Ah ! ne nous vante pas le sinistre avantage
De porter le deuil dans les cœurs
Des mères, des enfants, des épouses, des sœurs.
Lorsque de toutes parts ta voix retentissante
Répand l'horreur et l'épouvante,
J'appelle autour de moi le plaisir, la gaîté.
Jouis de ta gloire sanglante
Et laisse-moi ma douce obscurité. »

Livre VI, Fable 19


Le malin poète est Voltaire.

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