N’estre orgueilleux pour prosperité.
Plusieurs sont de cueur eslevez
En orgueil, et cherchent leur gloire,
Par la faulte d’estre esprouvez
Et n’avoir d’eulx mesmes memoire.
Bien acoustré de frein, de selle et bride,
Ung beau Cheval marchoit sans quelque guide,
En hanissant par fierté de couraige.
Sy rencontra d’aventure au passaige
Soubz un grand fats ung pauvre Asne basté
Qui ne s’est point pour le Cheval hasté
De faire voye, et le Cheval, par ire,
En escumant luy commença a dire :
« Asne meschant et vilain, comment est-ce
Qu’encontre moy prens chemin et adresse ?
O paresseux, ne scais-tu point d'honneur
Qu’il convient faire a ton maistre et seigneur?
Recule toy lors que je passeray,
Ou par vengeance aux pledz te fouleray. »
L’Asne obeit. Or, aprés il advint
Que le Cheval vieulx et foible devint ;
Ses dornemens son maistre luy osta
Et au charroy des champs le deputa;
Et le voyant VAsne ainsi mis au bas,
Et qu'il portoit pour selle d’or ung bastz,
Menant aux champs le fiens et l'ordure,
Luy dict : « Amy, d’ou vient cest aventure ?
Ou est ta selle? ov est ton frein doré,
Et ton harnois richement decoré ?
« Ainsi, amy, a l'orgueilleux advient,
Qui en la fin pauyre et meschant devient
Et est moqué, contemné et repris
De ceulx qu’il a jadis mis en despris. »
Titre original : Du Cheval et de l'Asne