Le Chien, le Boeuf, l'Âne et le Cheval Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Dans un pré verdoyant sur le bord d'un ruisseau,
Trois animaux de race différente,
A l'ombre d'un platane et d'un splendide ormeau
Broutaient une herbe succulente ;
Le chien qui les gardait, d'un vieux roussin hargneux
S'approche, puis lui dit : « Quoi tu n'es pas heureux ?
Je vois que l'herbe ici vient en grande abondance
Que tu matin au soir tu peux faire bombance ;
Tu devrais de ton lot être fort satisfait !
Mon lot n'est pas si beau ! répond l'Ane stupide,
Comment serais-je heureux ? Ce lourd cheval me hait
Dès qu'il vient près de moi, je sens qu'il m'intimide ;
Il fait vingt fois par jour des vœux pour mon trépas
Aussi vois, je maigris, et je me sens bien bas !
Tous se moquent de moi, c'est ce qui me désole. »
Le chien va tout pensif adresser la parole
Au gros bœuf en ces mots : Tu dois être content,
Car en vrai sans-souci toujours tu vas broutant ;
Quand vient la fin du jour, de retour a Potable
Tu ne dois pas trouver ton sort trop misérable ?
Moi ! lui répond le bœuf. « Je maudis mon destin ! »
Je n'ai jamais souffert il est vrai de la faim,
Mais je suis cependant passablement h plaindre,
Ayant pour compagnon, cet Ane, ce cheval,
Je ne le cache pas, je me trouve fort mal !
Celui-ci va, vient, court et je dois toujours craindre
De me trouver sur son chemin !
Quant à maître roussin,
Se roulant sur le sol il ne cesse de braire !
Vingt fois par jour ce bruit me met presque en colère. »
En entendant cela
Le pauvre chien soupire
Et puis à pas pressés s'en va non loin de là
Trouver le beau cheval qui broutait sans Vien dire,
Et l'apostrophe ainsi : « Que dit-on beau cheval? »
Celui-ci lui répond : « Qu'on se trouve fort mal !
Que ces deux compagnons ne font pas mon affaire !
Un pauvre âne, un lourd bœuf ne nous amusent guère ! »
a Ecoute, dit le chien, je le vois maintenant :
Vous contenter est difficile à faire !
Toi, tu te plains du ruminant,
Le bœuf dit que tu cours, et que l'âne veut braire
Quand tu devrais marcher et le roussin se taire.
Et l'âne en broutant le gazon
A son tour, mon ami, te maudit sans façon
Ainsi chacun de vous marmotte
Qu'il ne peut trouver du repos,
Chacun dit, mes voisins sont des méchants, des sots ;
A mon avis ceci dénote
Que tous vous avez vos défauts.
Au lieu de toujours porter plainte
Sur tout ce que font vos voisins
Et de vous rendre ainsi chagrins,
Chacun de vous, je le dirai sans feinte
Devrait fermer les yeux sur les torts du prochain :
Tout irait mieux j'en suis certain. »

Livre III, Fable 13, 1856




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