Le Bélier et le Chien Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Un gros bélier grave et superbe
Qui tout tranquillement broutait,
Vit tout à coup rodant dans l'herbe
Le jeune chien qui le gardait.
Le vieux bélier d'un air paisible
Lut dit : « Vois-tu mon bravo chien
Si pour nous tu voulais être un bon gardien,
Là-haut sur ce rocher que je crois accessible,
Tu devrais aller te poster ;
Tu verrais bien mieux dans la plaine
Tout le bétail qu'ici l'on fait brouter,
Tandis qu'en tournoyant toujours près de ce chêne
Tu risques d'être tout à coup,
Bien surpris par messir loup. »
Alors le chien lui dit : « Ecoute, bonne bête
Ton cœur est bon, mais tu n'as pas de tète !
Tu n'es certes pas fait pour me faire la loi.
Broute ce frais gazon, celte belle bruyère
Et garde cher ami tes bons conseils pour toi !
Va je sais, crois-le bien, tout ce quo je dois faire :
Je dois rester ici sur le bord du ruisseau,
Si le loup sort de son repaire,
En voyant poindre mon museau,
Il s'enfuira loin du troupeau ;
Oh ! pour cela, la chose est claire.
Si suivant ton conseil, je courais mo percher
Au loin, là-haut sur ce rocher,
Le loup pourrait ravir sans peine
Quelque pauvre mouton à l'écart dans la plaine.
Voir le danger de loin, ne me suffirait pas
Pour le garantir du trépas. »

Souvent chez les humains arrive même affaire;
De donner des conseils, tel veut faire métier
Qui d'après ce qu'on dit partout dans son quartier,
Au lieu de tant parler, ferait mieux de se taire.

Livre III, Fable 20, 1856




Commentaires