Le Sanglier et le Bélier John Gay (1685 - 1732)

Le troupeau patient attendait le couteau
Du boucher, de ce froid bourreau ;
De sang la terre était tachée,
Une brebis bêlait près d'un orme attachée,
Se consolant parfois en broutant le gazon.
Témoin de ce spectacle, un Sanglier sauvage
Caché sous le prochain feuillage,
Ainsi railla la gent porte-toison :

"Lâches ! voyez, avez-vous la berlue,
Votre meurtrier est en vue,
Sa main, rouge de votre sang,
De son couteau fumant,
Racle une peau chaude encore de vie,
Et vous race asservie
Vous regardez stupidement
Vos pères dépecés-et vos mères saignantes ;
Devos Agneaux le piteux bêlement
Et les plaintes poignantes,
Vous laissent froids. Vous méritez crétins
Comme tous les poltrons d'avoir de tels destins !”

Un vieux bélier répondit :" Je l'accorde
Notre peuple n'a pas tout comme votre horde,
L'air menaçant et la foudre au regard,
Mais bien que privé de défenses
Pour venger ses offenses,
Il les sait ressentir : pour n'être pas vantard
Ne croyez pas qu'il soit couard.
Sachez le donc notre vengeance
Suit notre assassinat, car nos vils massacreurs
En nous mettant à mort, malgré notre innocence,
Ramassent deux fléaux qui déciment les leurs ;
Notre peau qui tantôt fournit à la chicane
Le moyen fort coûteux d'allonger un procès,
Et qui tantôt éveille au combat tout exprès
Le riche en son palais, le pauvre en sa cabane.
Nous trouvons en un mot vengeance chaque jour
Par le dur parchemin, par le bruyant tambour."

Livre I, fable 5




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