Boire, manger, dormir et ne rien faire,
Tel est l'idéal ordinaire
D'une âme basse, et son plus cher souci ;
Mais un cœur haut placé ne saurait, Dieu merci !
Se contenter de ce bonheur vulgaire.
Un chasseur avait pris un jeune marcassin
Agé de quinze jours à peine ;
Il trouva justement à la ferme prochaine
Une truie, allaitant un turbulent essaim
De dix petits cochons nés de l'autre semaine.
La brave bête aussitôt sous son toit
Comme un des siens reçut l'enfant des bois,
- Un de plus dans la pacotille.
Il différait un peu par la couleur,
Mais, petit cochon par le cœur,
Il se croyait de la famille.
Tout alla bien d'abord : mais bientôt, grandissant,
Le marcassin sent poindre sous sa lèvre
Le bout aigu d'un croc naissant ;
En même temps s'allume dans son sang
Je ne sais quelle étrange fièvre.
De ses frères de lait abandonnant les jeux,
Il se tient à l'écart, morne et silencieux ;
La mare, le fumier, l'auge, tout l'importune-
D'une hure enivrée, aux rayons de la lune,
Il aspire à longs traits les parfums pénétrants
Qu'exhalent jusqu'à lui les bois environnants.
Un jour, dans son coin solitaire
Un de ses jeunes compagnons
L'aborde : « Eh bien, dit-il, cher frère,
« Pourquoi cet air triste et sévère ?
Pourquoi te séparer de nous tous qui t'aimons ?
N'as-tu pas, comme nous, une épaisse litière,
Abondance d'eau grasse et de pommes de terre ?
« N'as-tu pas, pour t'ébattre, un bourbier moelleux ?
Tandis que les chevaux, les ânes et les bœufs
Sont soumis chaque jour à des travaux sans nombre,
Ne peux-tu pas dormir et digérer à l'ombre ?
Enfin, que manque-t-il à ta félicité? »
Le Sanglier répondit d'un air sombre :
« La liberté ! »
Cet animal n'était pas bête.
Et son souhait était fort naturel.
Son vœu fut-il rempli ? La chronique est muette
Sur ce fait ; mais,, pour moi, le point essentiel
Ce serait de savoir l'usage personnel
Qu'il aurait fait de sa conquête.