Une hermine, un castor, un jeune sanglier,
Cadets de leur famille et partant sans fortune,
Dans l’espoir d’en acquérir une,
Quittèrent leur forêt, leur étang, leur hallier.
Après un long voyage, après mainte aventure,
Ils arrivent dans un pays
Où s’offrent à leurs yeux ravis
Tous les trésors de la nature ;
Des prés, des eaux, des bois, des vergers pleins de fruits.
Nos pèlerins, voyant cette terre chérie,
Éprouvent les mêmes transports
Qu’Énée et ses Troyens en découvrant les bords
Du royaume de Lavinie.
Mais ce riche pays étoit de toutes parts
Entouré d’un marais de tourbe,
Où des serpents et des lézards
Se jouoit l’effroyable bourbe.
Il falloit le passer et nos trois voyageurs
S’arrêtent sur le bord, étonnés et rêveurs.
L’hermine la première avance un peu la patte ;
Elle la retire aussitôt,
En arrière elle fait un saut,
En disant : Mes amis, fuyons en grande hâte ;
Ce lieu, tout beau qu’il est, ne peut nous convenir :
Pour arriver là-bas il faudroit se salir ;
Et moi je suis si délicate,
Qu’une tache me fait mourir.
Ma sœur, dit le castor, un peu de patience ;
On peut, sans se tacher, quelquefois réussir ;
Il faut alors du temps et de l’intelligence ;
Nous avons tout cela : pour moi qui suis maçon,
Je vais, en quinze jours, vous bâtir un beau pont
Sur lequel nous pourrons, sans craindre les morsures
De ces vilains serpents, sans gâter nos fourrures,
Arriver au milieu de ce charmant vallon.
Quinze jours ! ce terme est bien long,
Répond le sanglier : moi j’y serai plus vite ;
Vous allez voir comment. En prononçant ces mots,
Le voilà qui se précipite
Au plus fort du bourbier s’y plonge jusqu’au dos ;
À travers les serpents, les lézards, les crapauds,
Marche, pousse à son but, arrive plein de boue ;
Et là, tandis qu’il se secoue,
Jetant à ses amis un regard de dédain :
Apprenez, leur dit-il, comme on fait son chemin.