Le Castor et le Renard Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

À peine éclos, cet univers
Vit commencer notre querelle
Avec les animaux divers
A qui prétendait homme imposer sa tutelle.
L’empire à nos aïeux couta de longs efforts.
Sous la griffe et la dent bien des nôtres tombèrent.
Enfin les ennemis cédèrent.
Comme ils fuyaient sur d'autres bords,
Auprès d’un fleuve ils arrivèrent.
Ml fallait traverser : "homme n’était pas loin.
Que faire en ce pressant besoin ?
Longtemps on délibère, on dispute, et l’on crie.
« Qui nous délivrera ? qui sauve la patrie?—
C’est moi, dit le Castor.—Qui? toi, chétif!—Tout beau.
Avant la fin du jour je vous passe en radeau.—
En radeau? qu’est cela ? —Vous verrez. A l'ouvrage.
Coupez-moi ces rameaux ; cueillez-moi ces liens;
Employez vos outils comme je fais les miens.
On peut tout espérer du nombre et du courage. »
Il dit : on obéit. L’ouvrage est commence;
Il avance, il s’achève, et le fleuve est passé.
On bénit le Castor; on célèbre sa gloire.
« Admirable génie nous a sauvés tous.
Qu'il soit récompensé d’un fait si méritoire ! »
Un Renard matois et jaloux
Dit: « Pourquoi tant crier ? Il va s’en faire accroire,
Un radeau? beau miracle! eh! c’était fort aisé.
Qui de vous dés l’abord ne s’en fat avisé?
Qui l’a fait ce radeau? Vous, lui, moi, tout le monde.
Eh! n’avions-nous pas vu sur Ponde
Des forêts voguer les débris?
Copier ce qu’on voit n’est pas grande merveille,
Et s’avouera bien sot qui donnera le prix,
Ecoutez-moi : je vous conseille
De moins flagorner vos égaux.
Cet avis. à la république
Importe plus que cent radeaux. —
Ah ! le grand citoyen ! Que ses discours sont beaux !
Cria le peuple ému de cette rhétorique.
A lui la couronne civique ! »
Le Castor dans un coin n’obtint plus un regard.
Il ne fut bruit que du Renard.

Livre VIII, fable 10




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