Sur un grand lac, aux solitaires bords,
Loin du danger et de toute surprise,
Une peuplade de castors
Bâtissait son humble Venise.
Ils avaient uni leurs efforts,
Mis en commun leur industrie,
Pour l'intérêt de la patrie,
Et l'union les rendait forts.
Pour se prémunir contre l'onde
Et ses funestes accidents ,
A l'aide de leur queue et de leur quatre dents,
Ils s'efforçaient d'asseoir une digue profonde.
Les uns creusaient les fondements,
D'autres sciaient le bois , ou pétrissaient l'argile ;
Tous tâchaient de mettre leur ville
A l'abri des débordements.
De leurs huttes déjà s'arrondissaient les dômes,
Tout enfin allait pour le mieux ;
Mais il est des ambitieux
1 Chez les castors comme parmi les hommes.
Des plans que l'on avait suivis,
Les moins industrieux voulurent la réforme ;
C'était une bévue énorme,
Et beaucoup cependant furent de cet avis.
Les uns par vanité, les autres par intrigue,
Donnaient, à les ouïr , d'excellentes raisons
Pour ne pas élever de digue,
Et ceux-là pour changer la forme des maisons.
Les disputes se prolongèrent ;
C'étaient toujours des incidents nouveaux,
Et ces débats découragèrent
Ceux qui voulaient à fin conduire les travaux.
Ils abandonnèrent l'ouvrage.
Mais bientôt un affreux orage
Fait tout-à-coup gonfler les eaux,
Qui, ne rencontrant pas d'obstacles à leur rage,
Emportent la bourgade en ses noirs tourbillons ;
Les bons citoyens , les brouillons
Sont entraînés dans le même naufrage.

Députés ou représentants,
De grâce, perdez moins de temps
En vaines disputes, en phrases ;
Hâtez-vous d'assurer, sur de solides bases,
Des intérêts plus importants ;
Et, si vous voulez bien m'en croire,
Ayez présents à la mémoire
Mes citoyens du Canada,
Ces castors imprudents qu'un torrent inonda.

Fable 18




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