J'aime beaucoup les chiens ; cela m'est bien permis,
Ils sont si fidèles amis !
A l'espèce humaine ils font honte.
Écoutez mon récit, car ce n'est pas un conte ;
En mémoire à l'instant je me le suis remis ;
Jadis j'en fus témoin, et vous pouvez m'en croire ;
Cette fable est donc une histoire .
A l'endroit où la Seine, arrivant dans Paris,
Et divisant ses eaux tranquilles,
Dans son cours embrasse trois îles,
Et présente aux regards surpris
L'apparence d'autant de villes...
Pourquoi cette description,
Diront les gens portés au blâme ?
Mais, messieurs, il n'est aucun drame
Qui n'ait sa décoration.
Aussi plus d'un auteur, soit dit sans épigramme,
N'a dû qu'au peintre seul sa réputation.
Je reprends ma narration.
Un jeune homme avait, du rivage,
Lancé son vieux chien à la nage,
Un chien de Terre-Neuve, aux poils longs et soyeux,
Un de ces animaux dont l'instinct merveilleux
N'a rien d'égal que leur courage.
Notre jeune homme le poursuit,
Embarqué sur une nacelle.
Longtemps de l'aviron le méchant le harcelle,
Le repousse, l'éloigne, aux abois le réduit.
L'animal fatigué veut regagner la rive ;
Son maître l'en empêche et cherche à le noyer.
En vain d'un œil mourant et d'une voix plaintive,
Le pauvre chien semble le supplier ;
Cet homme avait un cœur insensible et farouche.
Le peuple qu'il a pour témoin
A beau crier, le maudire de loin,
Rien ne l'émeut, rien ne le touche.
Enfin son chien n'en pouvant plus,
Veut, d'un dernier élan , sauter dans la nacelle.
Pour rendre encor ses efforts superflus,
Son bourreau va frapper; mais il glisse, il chancelle,
Il tombe dans les flots , il est près d'y périr...
Dites, quel est celui qui l'ira secourir ?
Qui? ce sera son chien. Dans ce moment funeste,
Oubliant que son maître avait voulu sa mort,
Et rassemblant la force qui lui reste,
Il plonge, le saisit, et le ramène au bord.
Suivons tous l'exemple sublime
Que nous donne ici ce bon chien,
Et, nous ressouvenant d'une sainte maxime,
Pour le mal, mes amis, rendons toujours le bien.