Un tailleur était condamné
Au supplice de la potence ;
J'ignore quelle circonstance
Au crime l'avait entraîné.
Une douleur universelle
Soudain s'empara des esprits,
Lorsque, dans son endroit, à peine on eut appris
La triste et fatale nouvelle.
C'était partout des regrets et des cris :
Hélas ! n'est-ce pas bien dommage ?
Quelle perte pour le village !
Vraiment cet homme était sans prix.
Pourquoi, me direz-vous, une si grande estime ?
Pourquoi ce profond désespoir ?
Qu'avait de rare la victime ?
Messieurs, vous allez le savoir.
Auprès du magistrat les gros bonnets se rendent ;
(Ce magistrat était l'auteur du jugement.)
Comme une grâce ils lui demandent
De les écouter un moment.
On les admet, et le maître d'école,
Au nom de tous, prend la parole :
-Nous vous en prions humblement,
Détournez du tailleur le sort qui le menace,
Ou souffrez un arrangement.
S'il faut que justice se fasse,
Et si, d'après l'arrêt rendu,
Il faut absolument qu'un homme soit pendu,
Qu'un cordonnier prenne sa place.
La commune en a trois, monsieur ; deux cordonniers
Suffiront bien à faire nos souliers,
Car nous ne portons pas de bottes ;
Mais le tailleur est seul, si nous ne l'avons plus,
Qui fera nos habits, nos vestes, nos culottes ?
Ces propos étaient superflus.
Apprenez cependant ce que ma fable prouve :
C'est que dans nos regrets et dans notre amitié,
Souvent notre intérêt se trouve
Pour un peu plus que la moitié.