Le Tailleur et les trois Cordonniers Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Un tailleur était condamné
Au supplice de la potence ;
J'ignore quelle circonstance
Au crime l'avait entraîné.
Une douleur universelle
Soudain s'empara des esprits,
Lorsque, dans son endroit, à peine on eut appris
La triste et fatale nouvelle.
C'était partout des regrets et des cris :
Hélas ! n'est-ce pas bien dommage ?
Quelle perte pour le village !
Vraiment cet homme était sans prix.
Pourquoi, me direz-vous, une si grande estime ?
Pourquoi ce profond désespoir ?
Qu'avait de rare la victime ?
Messieurs, vous allez le savoir.
Auprès du magistrat les gros bonnets se rendent ;
(Ce magistrat était l'auteur du jugement.)
Comme une grâce ils lui demandent
De les écouter un moment.
On les admet, et le maître d'école,
Au nom de tous, prend la parole :
-Nous vous en prions humblement,
Détournez du tailleur le sort qui le menace,
Ou souffrez un arrangement.
S'il faut que justice se fasse,
Et si , d'après l'arrêt rendu,
Il faut absolument qu'un homme soit pendu,
Qu'un cordonnier prenne sa place.
La commune en a trois, monsieur ; deux cordonniers
Suffiront bien à faire nos souliers,
Car nous ne portons pas de bottes ;
Mais le tailleur est seul, si nous ne l'avons plus,
Qui fera nos habits, nos vestes, nos culottes ?

Ces propos étaient superflus.
Apprenez cependant ce que ma fable prouve :
C'est que dans nos regrets et dans notre amitié,
Souvent notre intérêt se trouve
Pour un peu plus que la moitié.

Fable 19




Commentaires