Le Tailleur et le Devin Antoine Bret (1717 - 1792)

Un Devin, un Tailleur causaient toujours ensemble.
Vous avez un pauvre art (dit le premier je tremble
Que les hommes, un jour tentés d'aller tout nus,
Ne rendent pour toujours votre aiguille inutile.
Vous seriez sans pain, sans style,
Et vous et vos enfants, vous vous verriez perdus.
Vous me faîtes pitié, voisin, lorsque j'y pense ;
Contre les coups du sort, j'ai des secours tout prêts.
Je suppose, sans vraisemblance,
Que l'on fût éclairé sur un de mes secrets ;
Eh bien ! ma féconde Minerve
Ne sera jamais en défaut ;
J'ai plus de cent tours en réserve
Que je fais valoir aussitôt.
Si le revers qui cause mes alarmes
Vous arrivait, ayez recours à moi,
Mon pauvre ami ; par quelque utile emploi
Je tarirai la source de vos larmes.
La famine bientôt après,
Sur les épis, sur les guérets,
Etendant ses funestes aîles,
Fit sentir ses horreurs cruelles ;
Adieu les faux besoins, c'est encor trop des vrais.
Plus d'argent pour les bagatelles ;
Jugez s'il en restait aux tours de gobelets.
Notre Tailleur pourtant trouve sa subsistance ;
Car il faut vivre et s'habiller ;
Quant au Devin, il eut beau babiller
Et réchauffer son éloquence,
On le laissa s'égosiller ;
En vain, il promit que sa bouche
Renfermerait un brasier allumé.
Le peuple est sourds, rien ne le touche
Que le besoin dont il est consumé.
Téropantra sans gagner une maille,
Notre Devin, qu'il fallut recourir
Au tailler qui d'abord le raille,
Et puis finit par le nourrir.

De la frivolité le destin est mobile ;
N'en déplaise à nos charlatans,
Gardons nous des petits talents
Et ne comptons que sur l'utile.

Fables orientales, fable 7




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