Un castor bon enfant, un jour, prêta l’oreille
Aux paroles d’un loup cervier.
Il s’agissait d’éteindre une haine bien vieille
Et d’échanger enfin la branche d’olivier.
La pensée était bonne et la chose, facile ;
Mais notre loup cervier qui faisait le docile
Avait un but inavoué
Qu’il cachait avec artifice :
Il voulait s’assurer, je crois, le bon office
D’un esclave tout dévoué,
Plutôt que l’amitié constante
D’un compagnon,
Fut-il et fidèle et mignon.
C’était une affaire importante
Que l’oubli du passé,
Et le lynx empressé
En convenait de bonne grâce.
Il n’avait pourtant pas qu’un tour de passe-passe
À se faire pardonner.
Il vit toutefois sans surprise
Le succès couronner
Sa nouvelle entreprise.
— Or,
Pour sceller l’amitié l’on pourrait, ce me semble,
Chasser ensemble,
Proposa-t-il au castor.
— Que votre intelligence, ô mon cher, est féconde !
Fit le castor ému — commençons nos travaux :
Nous irons par monts et par vaux :
Moi je nage fort bien, je chasserai dans l’onde
Et vous procurerai les poissons les plus frais.
— Les fruits des bois ont-ils pour vous quelques attraits ?
Reprit le loup-cervier, vous en aurez de reste,
C’est moi qui vous l’atteste,
Car je grimpe aisément, vous ne l’ignorez pas,
Sur les plus hautes branches.
Je vous offrirais bien, chaque jour, aux repas,
De la chair en épaisses tranches,
Mais vous n’en mangez pas du tout.
Ils partirent enfin, rôdant un peu partout,
Mais plus souvent sur le bord des rivières.
Le loup-cervier mangeait, du meilleur appétit
Et sans faire trop de manières,
Le gros poisson et le petit.
— De la société je porte seul les peines,
Lui dit bien poliment le castor aux abois ;
Soyez plus généreux ; rentrons dans les grands bois,
Montez sur quelque hêtre et donnez-moi des faines.
— Des faines ? j’y pensais ; ça fera changement.
Ils marchaient lentement,
Car les pieds du castor n’ont pas grande vitesse.
Après de longs circuits,
Ils trouvèrent un hêtre assez chargé de fruits.
Le loup cervier, avec prestesse,
Grimpa sur les rameaux et se mit à manger
Sans songer
À son camarade.
— Vous ne m’en donnez pas ? demanda celui-ci.
— Ta santé délicate est mon plus grand souci,
Et je crains que ce fruit ne te rende malade…
Il ne faudrait qu’un accident,
Répondit le lynx impudent.
— C’est vrai, fit le castor, j’en souffrirais peut-être ; —
Il cachait son dépit sous des dehors sereins —
Je vais gruger l’écorce.
Or, il coupa le hêtre.
Le loup-cervier tomba puis se brisa les reins.
La haute opinion que l’on a de soi-même
Nous empêche souvent de voir les qualités
Des amis que l’on a lâchement exploités ;
Mais quelque circonstance extrême
Nous fait toujours voir, à la fin,
Que pour être plus fourbe on n’est pas le plus fin.