Le Sanglier et les Rossignols Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Un homme riche, sot et vain,
Qualités qui parfois marchent de compagnie,
Croyoit pour tous les arts avoir un goût divin,
Et pensoit que son or lui donnoit du génie.
Chaque jour à sa tahle on voyoit réunis
Peintres, sculpteurs, savants, artistes, beaux esprits.
Qui lui prodiguoient les hommages,
Lui montroient des dessins, lui lisaient des ouvrages,
Ecoutoient les conseils qu’il daignait leur donner,
Et l’appelaient Mécène en mangeant son dîner.
Se promenant un soir dans son parc solitaire,
Suivi d’un jardinier, homme instruit et de sens,
Il vit un sanglier qui labouroit la terre,
Comme ils font quelquefois pour aiguiser leurs dents.
Autour du sanglier, les merles, les fauvettes,
Surtout les rossignols, voltigeant, s’arrêtant,
Répétoient à l’envi leurs douces chansonnettes,
Et le suivoient toujours chantant.
L’animal écoutait l’harmonieux ramage

Avec la gravité d’un docte connoisseur,
Baissoit parfois la hure en signe de faveur,
Ou bien, la secouant, refusait son suffrage.
Qu’est ceci ? dit le financier :
Comment ! les chantres du bocage
Pour leur juge ont choisi cet animal sauvage !
Nenni, répond le jardinier :
De la terre par lui fraîchement labourée,
Sont sortis plusieurs vers, excellente curée
Qui seule attire ces oiseaux ;
Ils ne se tiennent à sa suite
Que pour manger ces vermisseaux ;
Et l’imbécile croit que c’est pour son mérite.

Livre III, fable 9




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