L'Avare et Plutus John Gay (1685 - 1732)

Le vent mugit, la fenêtre s'agite,
L'Avare s'éveille en sursaut,
Ses yeux sortent de leur orbite,
Il parcourt sa maison du bas jusques en haut.
Il tremble en marchant, examine
Serrures, verrous, cadenas,
Flaire dans chaque coin, puis ouvre à la sourdine
La caisse qui contient son magot, ses ducats,
Et les yeux ébaubis il demeure en extase.
Mais voilà qu'en son cœur s'éveille le remords,
Voilà que le remords l'écrase,
L'œil égaré voilà qu'il confesse ses torts.

"La douce paix de l'âme eut été ma devise,
Si la terre en son sein eut gardé ses trésors ;
Mais la vertu, c'est marchandise,
On l'achète-dût-on la payer d'un remords.
Fléau du bien, séduisante chimère,
Or, vil métal, c'est ton affreux pouvair
Qui bannit des esprits l'honneur et le devoir,
Et sème tous les maux qui germent sur la terre ;
Tantôt armant le bras d'un assassin,
Tantôt celui d'un traître spadassin.
Or, vil métal, auteur de tous les crimes,
Qui pourrait nombrer tes victimes ?"
Il dit, un pleur déjà roulait sur ses écus,
Quand devant lui parut son Dieu, Plutus :
L'Avare d'une main discrète
Soudain à double tour a fermé sa cassette ;
Alors ainsi l'interpelle le Dieu : -

"Est-ce de la frayeur que nait cette sortie,
Misérable argutie,
D'un cancre et d'un fesse-Mathieu ?
Si l'homme se corrompt, c'est par l'esprit rapace
De tous les usuriers, de ton ignoble race ;
Si le monde est dévergondé
Dois-je être pour cela honni, vilipendé ?
Pour mieux cacher ton jeu, dépister la justice,
Du court manteau de la vertu
Tu voudrais bien draper ta hideuse avarice,..
Par moi sois enfin dévêtu.
Quand un avare empile, empile, empile,
L'or, selon lui, c'est le cancer du cœur,
Mais ce cancer du cœur n'est autre que la file
Des vices que l'Avare encaisse avec l'honneur :
Mais quand l'or est remis en des mains vertueuses,
Il est béni comme un bienfait des cieux,
Il sait les soulager vos peines douloureuses
Veuves et orphelins, et sait sécher vos yeux !
Avares qui de l'or vous dites les victimes,
Sur son dos, qui n'en peut, ne mettez pas vos crimes,
Après avair troqué vos âmes pour du gain,
Vous répondrez du sang versé par l'assassin."

Livre I, fable 6




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