A voyager à pied, tant bien que mal,
Certain avare a passé son jeune âge ;
Devenu vieux, il lui faut un cheval.
« Un laid, un beau, dit-il, coûte même fourrage. »
Il en achète un beau, le prix en est fort cher,
Mais aussi trois autres il dure ;
C'est un bénéfice assez clair ;
D'ailleurs, à prix égal, on peut faire figure.
De temps en temps, pour ménager,
Dans le pré du voisin il le fait fourrager ;
Mais le voisin se fâche, en justice le mande.
L'avare aurait nourri trois chevaux ; tout un an,
De ce que lui coûte l'amende.
À regagner ces frais il avise à l'instant :
« Ferrer le cheval si souvent,
Dit-il, c'est un luxe inutile ;
Dix fois l'an, c'est assez. » Bon ! la hôte a bientôt
Tous les pieds abîmés ; au maréchal, le sot,
Pour épargner vingt fers, en paye alors pour mille.
Sur le foin, sur l'avaine, il cherche à retrancher,
Pour réparer enfin son énorme dépense.
À rogner les rations, dès ce jour, il commence ;
L'animal, bientôt, perd la force de marcher ;
Loin que, par ce moyen, sa perte se répare,
L'Harpagon voit sa bête, à deux pas du tombeau,
Lui dire : « Ah ! quelle erreur t'égare !
Le profit que tu fais est beau !...
Tu me perds, en voulant ménager tes fourrages.
Pour peu que tu ménages,
Tu perds encor ma peau !... »
A force d'épargner, vivant sans jouissance,
L'avare ainsi quintuple sa dépense.