Le Cygne et le Dindon Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Un beau cygne, avec assurance,
Fend l'onde sur un lac profond.
Vers la plage s'avance
Un orgueilleux dindon.
« Voyez, dit-il, la suffisance extrême
De cet important-là !
Ne se croit-il pas Jupin même
Oui fait une niche à Léda ?
Comme lui, si je veux, je nage,
Et dans le cristal de ces eaux
Je fais réfléchir mon image. »
Il s'élance alors dans les flots,
Tout glorieux de sa bravade,
Et s'éloigne aussitôt du bord.

« Que fais-tu là, mon camarade ?
Lui dit le cygne, et quel est ce transport
Qui te pousse à chercher la mort ?
— La mort ? N'est-il au monde
Que toi seul, répond le dindon,
Qui puisse régner sur cette onde ?
Vraiment, tu te crois un triton.
N'ai-je pas, comme toi, des plumes,
Des pieds pour m'aider à nager ?
— Pas autant que tu le présumes,
Et je t'avertis du danger. »

Le dindon rit, s'en moque et nage ;
Mais bientôt il sent son plumage,
Tout trempé d'eau, l'entraîner par son poids ;
Il est englouti dans l'abîme
Et l'on entend encor gémir sa voix :
« J'étais présomptueux hélas ! j'en suis victime ! »

L'ignorance et la vanité
Du sot font la capacité.

Livre V, fable 16




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