Le Cygne, l'Hirondelle et le Coq Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Dans Aquilopolis, résidence royale
De l'aigle et des oiseaux antique capitale,
On ne voyait, comme à Paris,
Que talents sans emploi, qu'artistes incompris.
Voulant donc procurer aux oiseaux de génie
Des débouchés, une exportation,
On prit la résolution
De fonder une colonie.
C'était, je crois (je n'ose affirmer ce point-là),
Près de la Vera-Paz, dans le Guatemala ;
On devait la nommer, dit-on, l'Aquilenie.
Trois députés, dans le conseil choisis,
Furent chargés d'explorer le pays.
Pour cet emploi d'abord fut désigné le cigne ;
D'un pareil choix était bien digne
Cet habile navigateur,
Dont la forme aux vaisseaux a servi de modèle,
Si l'on en croit plus d'un auteur.
Ensuite, on nomma l'hirondelle,
Architecte de son métier ;
Enfin le coq, vaillant guerrier.
Certains serins savants, par des bouts de ficelle,
Joignent, en forme de radeau,
Quelques bâtons flottants sur l'eau,
Et nos députés intrépides
Voguent bientôt sur les plaines liquides.

Si l'on eût consulté la raison seulement,
C'est le cygne, certainement,
Qui de ce frêle esquif eût été le pilote.
Mais, malheureusement, chacun a sa marotte :
Le coq voulait briller sur l'humide élément ;
Il prit donc le commandement :
« - Donnons-leur, disait-il, la preuve sans réplique
De mes talents dans l'art nautique. »

Le cygne avec plaisir céda le gouvernail,
Préférant, à l'écart, s'occuper d'un travail,
Relatif à l'architecture.
Voilà donc le radeau flottant à l'aventure ;
Notre grand amiral ne sut pas l'empêcher
De se briser sur un rocher.
De Castor et Pollux c'est la faveur suprême
Qui les tira vivants de ce péril extrême.
Un cygne, comme on sait, fut l'auteur de leurs jours :
Le nôtre, en ce danger, implora le secours
De ces divinités, aux matelots propices.
Nos voyageurs, sur une île jetés,
Ne découvrent, de tous côtés,
Que rochers sourcilleux et qu'affreux précipices,
Qui paraissent inhabités.
L'hirondelle, la bâtisseuse,
Sans doute, en ce pressant besoin,
De construire un logis devait prendre le soin ;
Le cigne se propose : « —- Ah ! je suis trop heureuse
« De vous céder, dit-elle, une tâche ennuyeuse ;
Travaillez donc avec ardeur.
Pour moi, depuis que je suis née,
De semblables travaux je vis environnée,
Et du mortier la seule odeur,
Je dois le confesser, me soulève le cœur. »

En moins d'un jour la demeure, construite,
En moins de temps encor fut par le vent détruite ;
Tant ce somptueux monument
Fut par notre amateur bâti solidement.
Pour comble de malheur, des habitants de l'île,
Sorte d'oiseaux de proie, en Europe inconnus,
Attaquent les nouveaux venus.
La résistance aurait été facile,
Si notre coq, issu de guerriers valeureux,
Dans les travaux de Mars instruit, formé par eux,
Avait dirigé la défense.
Mais Jupiter permit qu'en cette circonstance
L'hirondelle, écoutant un aveugle transport,
Fondit sur l'ennemi : « La victoire ou la mort ! »
Criait-elle ; laissez-moi faire,
Suivez-moi seulement, vous allez voir l'effet
D'un plan d'attaque que j'ai fait. »

Notre architecte aimait l'art militaire,
Et, dans ses moments de loisir,
S'en occupait, pour son plaisir.
L'effet fut désastreux ; l'hirondelle inhabile
De ses deux compagnons se laisse séparer,
Et dès lors, l'ennemi pouvant les entourer,
La valeur devint inutile :
Vaincus, poursuivis, déchirés,
Ne pouvant fuir de ces déserts sauvages,
Tous trois périrent, dévorés
Par ces cruels ornithophages.

Que doit nous enseigner ce triste résultat ?
C'est qu'on n'aime point son état,
Qu'à toute autre affaire on s'applique ;
C'est que tout ira bien pour la chose publique
Lorsque le magistrat, l'artiste, le guerrier,
Auront pris pour devise : A chacun son métier.

Livre V, fable 1




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