D'un mouvement aisé, gracieux, et rapide,
Le Cygne, roi des oiseaux d'eau,
S'ébattait dans les airs, ou sur un lac limpide,
Et faisait dire : « Ah ! qu'il est beau ! »
Tantôt ses ailes étendues
Sans peine l'élevaient aux nues ;
Tantôt, nageur encor plus expérimenté,
Il fendait avec majesté
De son lac transparent la vague obéissante,
Et de son plumage argenté
Faisait briller au loin la neige éblouissante.
Jupiter à Léda s'est jadis présenté
Sous cette forme ravissante,
Qu'on ne regarde pas sans en être enchanté. lap
Le Corbeau, par hasard, voit le Cygne en sa gloire,
Et s'indigne, en le contemplant,
De sa propre couleur trop lugubre et trop noire.
Pour lui l'éclat du Cygne est un poids accablant.
On vante la blancheur ; il veut devenir blanc.
Il n'y tient pas ; la jalousie
Lui suggère un projet nouveau,
Qui de sa passion montre la frénésie.
Il prétend se laver, se baigner à grande eau,
Jusqu'à déteindre enfin ses plumes et sa peau.
D'un corbeau vouloir faire un cygne
En le plongeant dans un ruisseau,
C'était une sottise insigne,
Qui trompa bien le pauvre oiseau !
Oubliant jusqu'au soin de chercher sa pâture,
Il passa désormais son temps
Au bord des fleuves, des étangs,
Se lessivant toujours dans l'onde la plus pure.
Son corps fut bien lavé, 1mais ne dénoircit pas,
Et sembla bien plutôt renforcer sa teinture.
Enfin quel fut son sort ? Hélas !
Aisément on le conjecture :
C'est jouer trop gros jeu de perdre ses repas
Pour ne songer qu'à sa parure.
Bientôt exténué, faute de nourriture,
L'ambitieux Corbeau prouva, par son trépas,
Qu'on ne change point de nature.

Du Corbeau les vœux étaient fous,
Sans doute ; mais qu'il est de ces sous chez les hommes !
Plus d'un oiseau bien noir, mêmeautemps oùnoussommes,
Du Cygne n'est-il pas jaloux ?
Insensé, qu'égare l'envie !
Mécontent de ton sort, tu prétends d'autres biens ;
Tu ne les atteins pas ; tu négliges les tiens ;
En attendant, tu perds la vie.

Livre I, fable 12




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