Le Corbeau de Lutorius Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

C'est fête à Rome, et le préteur publie,
Que Jupiter a trouvé son vengeur.
De Cléopâtre et d'Antoine vainqueur,
Octavien aborde l'Italie.
Peuple et Sénat, pour lui baiser la main,
Ont d'Appius envahi le chemin.
Lutorins avait mis dans sa tête
De s‘illustrer par quelque trait nouveau.
Car d'applaudir le front ceint d'un rameau
Et de crier, c'est à faire au plus bête.
Ii n'est rien là de galant ni de beau.
Aux chants de gloire, aux compliments de fête
Tl veut mêler le caquet d'un Corbeau,
Oui, d'un Corbeau par les soins de notre homme
Parlant latin en citoyen de Rome
Et sachant dire : Ave, César victor !
Le voici donc qui fait jouer sa langue ;
A tous venants débitant sa harangue.
Plus d'un jaloux convoitait ce trésor.
C'était de quoi charmer le cœur du prince ;
De quoi gagner préfecture ou province.
On l'eût payé vingt fois son pesant d'or.
Voila César ! Le voilà! Grande presse.
Lutorius fait si bien que l'oiseau
Mêle sa voix aux accents d'allégresse :
Et, lui, d'orgueil ne tient pas dans sa peau.
Bref, les trois mots vont caresser l'oreille
De l'empereur. Il sourit, et de prés,
Signe évident d'un glorieux succès,
Veut admirer cette rare merveille.
« Vraiment, dit-il, sage Corbeau, tu peux
Sincèrement applaudir à ma gloire.
Si Mare Antoine avait eu la victoire,
Mon bel ami, c'était fait de nous deux. »
Puis à son maitre il dit cette parole :
« J'admire fort l'orateur que voilà,
Et l'écolier fait honneur à l'école ;
Mais n'avais-tu, mon cher, que celui-là? »

Livre XI, fable 9




Commentaires