Instruit que, dans le voisinage,
On critiquait tout à la fois
La discordance de sa voix,
Et la couleur de son plumage,
Un Corbeau se dit : faisons voir
Ce que peut le désir de plaire ;
Prenons une voix douce et claire ;
Quittons enfin le manteau noir.
Je n'ai qu'à prier Philomèle
Je me donner quelques leçons ;
Bientôt je chanterai comme elle,
Et je redirai ses chansons.
Comme le cygne, avec constance
Je me plongerai dans l'étang,
Et m'y laverai tant, je pense,
Qu'à la fin.je deviendrai blanc
Le voilà donc qui s'évertue,
Par un beau zèle transporté ;
Mais son projet n'eut pas l'issue
Qu'en attendait sa vanité.
Il ne put se faire un ramage ;
Et, jugez de son désespoir !
L'eau, loin de blanchir son plumage,
Le fit paraître ençor plus noir ;
Le temps s'écoule ; il se résigne.
Pourquoi voudrais-je être plus beau ?
Dit-il ; le cygne est toujours cygne j
Et je serai toujours Corbeau.
Cédons au destin sans murmure ;
Gardons mon plumage et ma voix :
L'art est impuissant, je le vois,
Quand il veut changer la nature.

Livre I, Fable 1




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