Un de ces oiseaux de rapine,
Qui semblent nés pour la ruine
Des aquatiques animaux,
Le Cormoran, au noir plumage,
D'un étang suivait le rivage,
Lorgnant les poissons les plus beaux.
Une harmonie enchanteresse
Charme aussitôt ces bords déserts :
Le Cygne, expirant de vieillesse,
Préludait à ses derniers airs.
Des sons de sa voix ravissante
Seigneur Cormoran étonné :
Que fais-tu donc infortuné ?
Lui dit-il ; est-ce que l'on chante
Quand l'heure fatale a sonné,
Et qu'à nous la mort se présente ?
J'ai le gosier des plus ingrats ;
Mais ma voix serait aussi belle
Que l'est celle de Philomèle,
Qu'à l'approche de mon trépas,
Certes, je ne chanterais pas.
L'autre répond : cela peut être,
Plein de ressouvenirs amers,
Devant les juges des enfers
Le méchant n'ose comparaître.
La crainte de se voir punir
Des crimes qu'il a pu commettre,
Empoisonne son avenir.
La mort le fait trembler d'avance ;
On l'a toujours vu. Mais pour moi,
Dont le cœur est plein d'innocence,
Qui, jamais, depuis ma naissance,
Dans l'étang n'ai semé l'effroi,
Je subis la commune loi,
Bercé par la douce espérance.
Mes jours, qui vont s'évanouir,
Finissent comme ceux du sage,
Et les chants que je fais ouïr
Semblent annoncer mon passage
Au bonheur dont je vais jouir.

Livre II, Fable 17




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