Un beau matin du blond et fleuri mois de mai, la mer étant tranquille, l'Amour s'apprêta à pêcher. Bien que ce ne fût pas la première fois qu'il lui prît fantaisie d'aller à la pêche, le cas est digne d'être conté, parce qu'il eut lieu tout récemment. Voyant que souvent dans les flots il jetait ses filets et que pas même une sardine ne s'approchait à grande distance, il laissa à la mer tous ses engins, échoua sa barque sur le sable et dit : « Mer, adieu, je vais pêcher sur terre. »
Il est auprès du Yumuri un jardin enchanteur où naissent la giroflée, la rose et l'œillet. C'est là que l'Amour dirigea son vol. Il tressa une guirlande de fleurs, y mit un hameçon doré et cria aux troubadours : << Regardez, bardes de ce pays, comment se pêchent les amours. » Il découvrit au bord du Yumuri une belle jeune fille. Il lui tendit la guirlande en disant à part soi : « Cette fillette est à moi. » Dans l'excès de sa joie, il ne fit pas attention qu'il tenait l'hameçon dans sa main et, en attendant que la fille s'y prît, l'Amour attendait tout joyeux. L'innocente beauté aperçut le feston de fleurs ; elle en saisit vivement le bout et l'attacha fortement à sa tête en guise de couronne. L'espiègle croyait sa proie si certaine qu'il la tirait à lui. Mais quelle fut sa douleur en voyant un sang pur tomber de sa main goutte à goutte !
Les troubadours l'ayant vu s'écrièrent tous ensemble : « C'est le sort des malheureux qui vont à la pêche des amours et qui sont eux-mêmes pêchés. »