Le Lion amoureux Jean-Baptiste Voinet (1976 - ?)

Il y a fort longtemps, pas plus d’un millénaire,
Cependant, plus encor que quatre ou cinq-cents ans
Un âge où les humains vivaient sans dictionnaire
Avec les animaux, qui en faisaient autant.
Et pourtant ces derniers étaient doués de parole,
On les apercevait vaquer, tout simplement,
À leurs activités, sans demander l’obole,
Fiers sans être orgueilleux, dignement, humblement.

L’un d’entre eux, un lion (le titre le suggère),
Fréquentant les humains, les humaines surtout,
Tomba fort amoureux d’une belle bergère,
Qu’il chérissait vraiment, qu’il vénérait en tout.
La belle, quant à elle, était bien résolue,
Malgré les sommations, les avertissements,
À marier sa brute à la peau si velue
On convoqua dès lors chacun des deux amants.

Le père, le doyen, prit ainsi la parole
« Je suis d’accord, dit-il, s’adressant au lion,
Pour vous donner ma fille ; il reste une bricole
Dont je dois vous instruire avant cette union.
Vous le savez bien sûr, ma fille est délicate ;
Vos griffes, je le crains, risquent de la blesser,
Il serait plus prudent, que, sur ces quatre pattes,
Les ongles soient limés, raccourcis, effacés.

À propos de limer, quand vous ouvrez la bouche,
On peut voir aisément, vos crocs bien affutés,
Si vous acceptiez, sans lutter, qu’on les touche
Il serait plus prudent de vous les amputer,
Caresses et baisers n’en seraient que moins rudes
Au moment de mêler chacun de vos deux corps.
Nous saurions montrer entière gratitude
Et pourrions alors célébrer notre accord.

Plus tendre qu’un agneau, sans bruit, sans réticence,
Le lion se soumet à ce sinistre abus.
Sans même argumenter, sans heurt, sans résistance,
Comme un chat de salon, quitte ses attributs.
Sans grifses et sans dents, le voilà mariable.
Jadis, roi des félins, fort, puissant et massif,
Maintenant désarmé, gentil et fréquentable,
On peut l’apprivoiser ; il est inoffensif !

Décembre 2021


Chez La Fontaine, le lion meurt après avoir été attaqué par les chiens ; je trouve cela fort regréttable.

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