Le Lion, le Loup et l'Âne

François Habert (1510 - 1561)


Le fier lion, cheminant par la voie,
Trouva un loup et un asne basté,
Devant lesquels tout court s’est arresté,
En leur disant : Jupiter vous convoie.
Le loup, voyant cette beste royale
Si près de soi, la salue humblement :
Autant en fait l’asne semblablement,
Pour lui montrer subjection loyale.
0 mes amis ! maintenant il est heure,
Dit le lion, d’oster les grands péchés,
Desquels nos cœurs se trouvent empêchés :
Il est besoin que chacun les siens pleure.
Et pour avoir, de la majesté haute,
Du dieu des cieux, pleine rémission ,
Besoin sera qu’en grand’ contrition
Chacun de nous confesse ici sa faute.
Ce conseil fut de si grand’ véhémence
Qu’il fut soudain des autres approuvé,
Dont le lion fort joyeux s’est trouvé ;
Et ses péchés à confesser commence :
Disant qu’il a, par bois, montagne et plaine,
Tant nuit que jour, causé, las! divers maux,
Et dévoré grand nombre d’animaux,
Bœufs et chevreaux, et brebis portant laine.
Dont humblement pardon à Dieu demande,
En protestant de plus n’y retourner.
Ce fait, le loup le vient arraisonner,
Lui remontrant que l’offense n’est grande.
Comment, dit-il, seigneur plein d’excellence,
Puisque tu es sur toutes bestes roi,
Eh ! qui pourra te donner quelque loi,
Lorsque sur nous tu as toute puissance ?
Il est loisible à un prince de faire
Ce qu’il lui plaît, sans contradiction :
Partant, seigneur, je suis d’opinion
Que tu ne peux, en ce faisant, mal faire.
Ces mots finis, le loup, fin de nature,
Vint réciter les maux par lui commis :
Premièrement, comme il a à mort mis
Plusieurs passans pour en avoir pasture.
Puis, que souvent, trouvant en lieu champêtre
Moutons camus, de nuit, en clos et parcs,
Il a bergier et les troupeaux épars,
Pour les ravir, afin de. s’en repaistre.
Enfin, qu’il a, en suivant sa coutume,
Fait plusieurs maux aux jumens et chevaux,
Les dévorant et par monts et par vaux :
Dont il en sent en son cœur amertume.
Sur ce, répond, en faisant bonne mine,
Le fin lion : Ceci n’est pas grand cas;
Ta coutume est d’ainsi faire, n’est-ce pas?
Puis, à cela t’a contraint la famine.
Lors dit à l’asne : Or, conte-nous ta vie,
Et garde bien d’en omettre un seul point;
Car si tu faux, je ne te faudrai point :
Tant de punir les menteurs j’ai envie.
L’asne craignant de recevoir nuisance,
Répond ainsi : Mauvais sont mes forfaits,
Mais non si grands que ceux-là qu’avez faits ;
Et toutes fois j’en reçois déplaisance.
Quelque temps fust que j’étois en servage
Sous un marchand qui bien se nourrissoit,
Et au rebours pauvrement me pansoit,
Combien qu’il eust de moi grand avantage.
Le jour advint d’une certaine foire,
Où, bien monté sur mon dos, il alla;
Mais arrivé, à jeun me laissa-là,
Et s’en va droit à la taverne boire.
Marri j’en fus, car celui qui travaille,
Par juste droit doit avoir à manger.
Or, je trouvai, pour le compte abréger,
Ses deux souliers remplis de bonne paille.
Je la mangeai sans rien dire à mon maistre,
Et ce faisant, l’offençai grandement ;
Dont je requiers pardon très-humblement,
N’espérant plus telle faute commettre.
O quel forfait ! ô la fausse pratique !
Ce dit le loup fin et malicieux ;
Au monde n’est rien plus pernicieux
Que le brigand, ou larron domestique.
Comment! la paille au soulier demeurée,
De son seigneur, manger à belles dents?
Et si le pied eust été la-dedans,
La tendre chair eust été dévorée!
Pour abréger, dit le lion à l’heure,
C’est un larron, on le voit par effet,
Or je crois juste, et j’ordonne de fait,
Suivant nos loix anciennes, qu’il meure.
Plutost ne fust la sentence jettée,
Que maistre loup le pauvre asne étrangla;
Puis, de sa chair chacun d’eux se soula :
Voilà comment elle fut exécutée.
Par quoi appert que des grands on tient compte;
Qu’en faisant mal, ils sont favorisés ;
Mais les petits, sans cesse méprisés,
N’ont pour loyer que la peine et la honte.



Le titre original est : Du Lion, du Loup et de l’Asne

Commentaires