Le Nouvel an Gabriel de la Concepción Valdés (1809 - 1844)

Plein d'anxiété, Jean attendait le premier jour du nouvel an. La nuit d'avant, l'imbécile ne dormit pas, comptant sans doute ses rares medios. « Oui, disait-il à part soi, je serai heureux, il n'y a pas à en douter. Ce jour me trouve avec quelque argent. J'ai deux chapeaux, pardieu ! un de castor et l'autre de panama, et quoiqu'ils soient vieux, ils sont deux, que diable ! J'ai deux cravates, quatre chemises, trois pantalons et trois souliers. » Il disait cela assis sur son lit. Le veilleur de nuit se mit à crier : « Il est quatre heures. » Il sortit à la hâte, s'en fut au marché, prit une tasse de café noir qui lui brûlait la langue et les lèvres. Il avait oublié de se laver le visage avec de l'eau fraîche (ainsi que le font d'aucuns), et, sans réfléchir aux conséquences, il en prend un plein vase et se lave. Tout aussitôt, il meurt du spasme, et le soir même il était enterré. Combien est-il dans ce monde de plaisirs que nous désirons ardemment et qui souvent nous sont si contraires qu'il eût mieux valu ne pas les goûter !