Le sans-souci Gabriel de la Concepción Valdés (1809 - 1844)

Un fermier avait un chien qu'il nommait Sans- Souci, bien qu'il fût des plus alertes et d'une race fameuse. Tous ses autres chiens étaient d'une maigreur sans pareille, tandis que celui-là était gras, allègre et de bonne humeur. Il donnait cependant à chacun même portion de pitance, de sorte que c'était un prodige dont on ne pouvait découvrir la cause. Certain jour, un curieux rendit visite à la ferme, et comme les cruches mêmes, suivant Ésope, parlaient, il lui dit : « Hé! Sans-Souci, pourquoi donc es-tu si gras quand les autres sont si maigres et qu'ils mangent autant que toi ? » Sans-Souci leva la tête et lui dit : « Tiens, va, et demande-le aux hommes qui gagnent même salaire. Aux uns il ne suffit même pas pour vivre ; les autres y trouvent de quoi se vêtir, faire l'amour, manger, jouer et s'amuser. Et quand tu sauras quelle est la cause de ces différences, tu verras que le monde est plein de gens que, comme moi, l'on appelle C'est vrai, dit le curieux en s'éloignant, il y en a beaucoup comme toi, sans-souci par antonomase. »