Le campagnard Albert était le gars le plus arrogant qui eût jamais parcouru les montagnes depuis la Mocha jusqu'à Tapaste. Son machette, selon lui, était la plus fine lame que contint gaine de cuir ou qu'un brave eût maniée. C'était le coq des garçons, le héros de tous les bals, le vainqueur à tous les jeux, la coqueluche des filles. Chacun racontait d'Albert cent histoires singulières ; mais nul ne l'avait vu lutter contre personne.
Un certain jour que Narcisse, le gérant de l'Aguacate, aux doux accords de son tiple, disait ses chants à Célinda, Albert coupa les cordes de l'instrument avec un couteau tranchant. L'autre aussitôt lui dit : « Tu me le payeras. » Alors il se jeta sur lui et le laissa couvert de sang. Puis il s'élança en selle et s'écria : « Je vais t'attendre. » Tout le monde pensait qu'Albert courrait aussitôt sur ses traces ; mais le pauvre diable resta plus de six heures sans mouvement. Enfin, après un assez long délai, il dit : « Le drôle est bien heureux que j'aie un père et une famille et que je chérisse ma mère, sinon je lui dirais bien tout ce que mérite l'infâme. Mais j'ai su me calmer à temps... je ne l'ai pas tué... parce que... Dieu le sait. »
Et moi je dis : Dieu nous délivre de ces braves qui parlent tant et qui se retranchent ensuite dans de lâches excuses !