Le faux Géant, le Bateleur et le public Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

« Entrez, Messieurs, et prenez place :
On ne doit payer qu'en sortant,
Encore si l'on est content.
Venez tous voir la noble face
Et, la taille de mon géant.
Qui vit et qui verra jamais sur cette terre
Rien de plus beau, rien de plus grand!
Il est en chair, en os, la chose est assez claire ;
« Non, Messieurs, mon géant n'est point un géant peint
Pour amusement de la porte ;
Il est vivant, et de bon teint :
Entrez, entrez... » or c'était de la sorte
Qu'un bateleur, un jour, monté sur ses tréteaux,
Environnés de superbes tableaux,
Attirait de tous points, par son pompeux langage,
Un peuple de badauds.
Tout chacun courait, qui le fou, qui le sage ;
On paye en entrant tout d'abord.
La foule se pressant, bientôt la salle est pleine ;
Majestueusement le géant se promène:
Tout le monde admirait sa hauteur, son beau port,
La barbe d'un noir jais dont sa face est parée,
Sa belle tunique dorée.
On disait : Quel colosse et quelle majesté !...
Comme il marche avec grâce, avec autorité !
Kit chacun était en extase !...
Lorsqu'un des spectateurs voulant, pour son argent,
Voir de prés et partir content,
Car il se défiait et n'aimait pas l'emphase,
Du superbe géant releva tout à coup
La robe jusques au genou.
Aussitôt on vit l'artifice
De cinq pieds de grandeur donnés en supplément
Au faux géant.
Puis, une femme avec malice
Vient lui toucher la barbe : elle tombe en sa main.
Ce n'est alors que des huées...
Et le géant, objet de toutes les risées,
Est démonté sur l'heure, et pour tout dire, enfin,
Réduit à son état de nain.

Combien de grands, en apparence,
Qui, de fait, ne sont que petits,
Et dont la coterie encense
Et les vertus et les écrits !
Quoi qu'elle dise et qu'elle fasse,
Dans l'intérêt de leur honneur,
Elle ne leur sert que d'échasse
Qu'un beau jour la vérité casse,
Pour les précipiter de leur fausse grandeur.

Fables nouvelles, Livre III, Fable 14, 1851




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