Un canistel qui étendait ses rameaux dans l'épaisseur d'une verte et ombreuse forêt était, comme Narcisse, épris de sa beauté. Une pomme-rose s'élevait auprès de lui en paix et tranquille. Le fou, qui se croyait doué de plus de beauté, lui parla de la sorte : « Celui qui t'a nommée pomme- rose était bien peu connaisseur d'oser appeler quelque chose du nom de la fleur la plus élégante et la plus belle. Et moi qui suis la brillante pomme d'or des jardins, le sort cruel m'infligea le nom insignifiant et ridicule de canistel. Mais quiconque passe par ces bois fixe sur nous des regards étonnés : sur moi, parce que je suis beau ; sur toi, parce que tu es informe et laide. »
La pomme-rose, fatiguée d'entendre le canistel, tourna, en guise d'épée, sa langue contre lui, comme une femme offensée. « Tu parles assez audacieusement, lui répliqua-t-elle à l'instant, et bien que ce soit un axiome connu que c'est peine perdue de vouloir convaincre un sot, cependant, à mon avis, c'est aussi une vérité certaine que l'homme illustre abaisse l'orgueil des sots en leur rappelant ce qu'ils sont. Dans tout ce dont tu t'es vanté tu. n'as nullement rendu évident que tu sois recherché comme utile, ce qui prouve uniquement que tu n'es bon que pour la vue. Qui sait si un imbécile ne flatte pas en toi sa fidèle image, ou si quelque sage ne dit pas : << A quoi sers- tu, canistel ? » et n'a pas pitié de toi ? Peut-être est- ce un poète que tu as pris pour un admirateur et qui pensait à part lui que, par ton faux semblant, tu es le symbole de l'hypocrisie ? Et puisque tu as voulu me causer du chagrin par des injures graves, je confondrai ton orgueil en te rappelant que j'ai goût et odeur, et que tu n'as, toi, ni parfum ni saveur. Tes paroles sont celles des hommes qui, dans l'obscure nuit de leur présomption, voient la beauté du corps et non celle du cœur. L'orange est plus recherchée, plus utile que toi ; elle croît davantage, son écorce est plus dorée, elle ne se vante de rien et ne s'enorgueillit point. Celui qui fait lui-même son éloge et élève sans cesse son mérite au ciel donne la preuve la plus certaine qu'il n'en a aucun. Ta folle prétention à plaire est infructueuse si tu es un fruit sans saveur, comme le serait celle d'une femme belle, mais sans esprit et sans vertu. Tu n'es en réalité que le portrait de cette foule d hommes qui, gonflés d'orgueil, brillent dans le monde sans vertus et sans esprit. »
Le canistel se tut. Qu'aurait-il pu répondre ? Mais il était sot et riait, ainsi que quelques-uns le pourront faire en lisant cette fable.