Un épervier rapide poursuivait un papillon. Celui- ci, redoutant le sort cruel que le ravisseur lui préparait, se réfugia pour l'éviter dans l'enceinte d'une ancienne ruche. Tout vivant, par instinct, fuit l'oppression et la mort. Il se croyait à l'abri des poursuites de l'inhumain. Pauvre candide papillon ! Quel lieu peut mettre à l'abri des tyrans ? Son ennemi entra dans la ruche et, sans plus de soin ni de précaution que n'en met le puissant dans pareille occasion, quand son tremblant et faible adversaire
se place sous la protection d'autres faibles malheureux, il fit de l'insecte une seule bouchée. L'abeille eut le rare courage de blâmer la faute commise, mais elle reçut une blessure. C'est ainsi que sa vertu lui coûta cher, car on n'a jamais bon marché à reprocher en face les fautes d'un puissant.
Justement irritée, elle pense aussitôt à demander au juge compétent raison de cette offense. Comme il n'était pas dans ces bois d'aigle royal qui régnât en monarque, le premier milan venu était le demi- dieu de la contrée. Elle se dirigea donc vers le premier qu'elle put trouver sur les branches d'un mamey¹ touffu où il se reposait après avoir dérobé un gros poulet sur l'habitation voisine. Elle lui conta ce qui s'était passé, et le juge lui demanda : « As-tu des témoins ? - Oui, monsieur ; un lézard, une grenouille et un iguane. — C'est bien, je suis le dispensateur des récompenses et des châtiments. Que ces gens viennent déposer. Si tu me dis la vérité, je te jure de châtier sévèrement le malfaiteur ; mais malheur à toi si tu mens ! »
L'abeille alla trouver les témoins dénommés, et après
être convenue avec eux qu'ils seraient exacts le jour suivant au rendez- vous du vorace milan, elle retourna toute joyeuse à sa ruche. Mais eux, réfléchissant enfin, se dirent : « Plus souvent ! aller trouver le milan le matin ! Malheureuse ! » cria la grenouille. Le lézard cria : « Pauvre lézard ! » Tout naturellement l'iguane en dit autant. Venons au fait. L'heure se passa et personne ne vint. Les défaillants furent de nouveau cités par un autre épervier. Cela suffit à leur montrer le but, car il est clair que sbires et méchants sont de la même engeance. Le lézard caché sous des épines, la grenouille tapie dans la fange, et
l'iguane dans le fond de son nid, disaient : « Je n'ai rien vu ! » L'abeille passa pour avoir menti. On comprend aisément qu'elle fut condamnée aux frais. Le procès dura six mois. Quand elle reprit son vol pour retourner, pleine de chagrins, vers sa retraite chérie, elle trouva ses rayons épars sur le sol, le miel séché sur le sable et sa ruche remplie de guêpes.
Plus tard le milan se retrouva de compagnie avec l'épervier. Comme celui-ci n'avait plus rien à craindre, il
lui raconta sans mystère la vérité du fait. Le milan vit alors la véracité, la justice et l'innocence de l'abeille. Mais pourquoi, direz- vous, l'abeille fut-elle condamnée ? C'est qu'elle n'était qu'un pygmée en comparaison des autres, et que le juge et le coupable étaient loups du même troupeau.
Si tu vois que le riche maltraite sans raison un pauvre comme toi, laisse, laisse-le faire ; retiens ta langue, et si la pensée te vient de le défendre contre le riche, applique-toi l'exemple de l'abeille.