Sur le chemin de Guines, en jouant de son tiple, un jeune montero, tout entier à Bacchus, marchait d'un pas lent et incertain en récitant ces vers : « Il n'est pour l'homme pauvre de remède plus efficace que de se bien soûler. L'esprit voit ainsi les objets sous un tout autre aspect que lorsqu'on est à jeun. C'est peut-être pour cela que l'on peint Bacchus tout nu. Ma foi, quand il fit l'heureuse rencontre de la fille de Minos, qu'avait abandonnée Thésée sur les côtes de Naxos, s'il était comme je suis, bien qu'en refusant sa main, il avait peur d'être aussi excessif en amour qu'il avait le cerveau troublé. »
Le jeune homme chantait ainsi en faisant mille contorsions, en jetant des pierres aux poules et aux chiens, sans prendre garde à de grandes flasques d'eau qui occupaient le milieu de la route. Il arriva enfin près d'une mare où le passage était dissicile et étroit. Il s'arrêta, regarda un instant et prit sur la gauche. L'endroit était à peine guéable ; il le traversa cependant si adroitement que l'homme le plus rassis et le plus habile n'eût pu mieux faire. Puis il reprit sa marche précédente.
Alors, poussant mon cheval pour le rejoindre, je lui dis : « Comment se fait- il, mon brave, que vous ayez pu passer sans vous mouiller même un doigt ?
- Nous autres ivrognes, répondit-il en riant aux éclats, nous perdons la vergogne, mais jamais le jugement. »
Je m'éloignai au trot de mon roussin en me disant : « Il n'y a pas de doute que ce diable-là vient de me dire parole d'évangile. »
Titre complet : Une Parole d'Évangile