Les nouvelles Balances Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Quand la justice abandonna la terre,
Il fallut bien y laisser un agent,
Un résident, ayant un caractère,
Et, dans ce cas, le choix qui fut prudent,
Ne tomba pas sur une aventurière ;
Mais sur Thémis, une dame ouvrière
Dont un seul trait peut faire le tableau
Sous la déesse elle avait le bureau.
Voilà mes poids, voilà ma balance:
Servez-vous-en , ma sœur , en conscience.
L'homme n'est pas un être accommodant
Votre travail est un peu rebutant ;
Vous en aurez, au ciel, la récompense ;
Et, vers l'Olympe, elle a pris son élan.
De son emploi Thémis voit l'importance ;
Elle conçoit qu'elle a besoin d'un plan;
Dans son début tout tire à conséquence.
Suivant l'avis que donne la prudence,
Il faut d'abord couvrir sa nudité;
Quelque imposant que dût être l'emblème,
Les mécontents ne l'ont pas respecté.
Par le dehors, entamons le système:
Drapons-nous bien ; qu'un brillant incarnat
Fixe d'abord les yeux par son éclat,
Et que le blanc, qui s'étale en fourrure,
Du vêtement fasse la garniture.
Nous annonçons, sous la double couleur,
L'aménité tempérant la rigueur.
Notre palais est d'une forme ovale :
On nous y voit en plein de toutes parts ;
Il faut pouvoir échapper aux regards ;
Il nous convient qu'il soit fait en dédale.
Quant à notre art, qu'il devienne profond :
Qu'en procédant, rien ne soit uniforme,
Et le mieux est d'inventer une forme
Qui puisse faire évanouir le fond.
La dame allait minuter l'ordonnance «
Mais un quidam lui demande audience.
C'est l'intérêt, jusqu'alors éconduit;
Dessous sa mante, il apporte du fruit.
Eh ! qu'il est laid ! cachez-vous sous ma robe ;
Que son ampleur aux regards vous dérobe,
Surtout à ceux de qui je fus le choix ;
Occupez-vous d'étalonner mes poids.