La Houlette, la musette et le Chapeau Jacques Cazotte (1719 - 1792)

La Houlette, la Musette et le Chapeau.
LA fable, libre en ses écarts,
Prend ses héros de toutes parts ,
Sans que la critique l'arrête :
Elle s'en alarme fort peu.
Elle fait un docteur de la plus lourde bête,
Et fait déraisonner un Dieu.
Mais pourrait-elle animer une planche?
J'en tiens la preuve dans ma manche:
Si les élèves d'Apollon
Font raisonner un violon,
On vous dira : les murs ont des oreilles.
Un bloc de marbre, un buste de Memnon,
Frappé du jour rendait du son :
Et l'on m'ôte le droit d'opérer ces merveilles
A moi, membre du grand conseil
De ce hardi cocher qui mène le soleil !
Lecteur, je demande audience ,
Ma thèse tire à conséquence.
Il Les fagots ne sont pas si bêtes que l'on pense. »
Je prétends le prouver par un bon argument,
Et qu'un manche à balai peut rendre un jugement.
Du juge proposé, si l'on craint l'influence,
Qu'on décline la compétence j
Pour moi dans ma preuve j'avance.
Ne peut-on, d'un manche à balai,
Tirer de quoi faire un sifflet?
Voilà déjà que mon dilemme
A rendu l'Aristarque blême ;
Il est déconfit, stupéfait,
Déjà vaincu, puisqu'il se tait.
Peut-être craint-il pour lui-même;
Nous, fidèle à notre système,
Animons l'acteur qui nous plaît.
Le soleil brûlait la plaine ,
De vent pas la moindre haleine;
Vers le penchant d'un coteau,
On voyait près d'un ruisseau,
Des moutons, la panse pleine
De cresson , de marjolaine
Se rafraîchir le museau
Au courant de la fontaine.
A deux pas , sous un ormeau,
Colin , maître du troupeau,
Dormait sur le sein d'Aunette.
A leur côté la Musette,
Groupant avec la Houlette,
Et par-dessus la Chapeau ,
On voit d'ici le tableau.
Que si quelqu'un s'en arrange,
Troquons-le contre un vateau ,
Nous ne perdrons pas au change,
Au moins, rappelez-vous bien
Que, dans ma caricature,
Le ciel et la créature,
Tout est muet jusqu'au chien.
Hors ronfler , on n'entend rien
Quand, tout-à-coup, la Musette
Pousse un soupir... Qu'avez-vous ?
Lui demande la Houlette.
J'ai, que vous m'assommez tous;
Rangez-vous , que je respire ;
Est-il besoin de vous dire
Que je suis un instrument
A qui ceux de votre espèce,
A part toute politesse,
Doivent du ménagement ?
Ali ! quand j'étais à la ville...
Oh ! que vous faites l'habile !
Et que vous montrez d'humeur !
Dit la Houlette ; ma sœur,
A la ville on vous vit naître,
Et sous les doigts d'un bon maître
Vous raisonnez joliment,
Quand on vous gonflait de vent;
Mais nous sommes au village ,
Il faut s'y payer du son
Qui sort de votre bourdon.
Vous êtes d'un faible usage;
Dans le fait, ce n'est pas vous
Qui faites trembler les loups....
Mais, voyez l'impertinente !
Que dites-vous ? insolente !
On allait venir aux coups.
La rixe était véhémente :
Quand une voix dit : Tout beau !
C'était celle du Chapeau.
Ecoutez, race femelle,
Craignez que votre querelle
Ne fasse aboyer le chien.
Moi, de rien je ne me pique;
Voyez cet homme de bien ;
C'est ici l'acteur unique :
C'est lui qui fait la musique;
Aux loups, lui seul fait la nique ;
Sans lui, vous ne faites rien.

Fable 7




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