Le Voyage d'Apollon et de Neptune Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Neptune et le bel Apollon
Allaient pour bâtir Ilion.
Ceci n'est point historiette :
C'est une anecdote secrète
Qu'ignora l'aimable Nason,
Je la tiens de Laomédon :
Je ne sais plus pour quelle échauffourée
Nos dieux étaient bannis de l'empyrée.
Quelque intrigue.... il en est là-haut:
Toutes les cours ont ce défaut.
Où nous porter , dirent-ils ? à Pergame,
Dit Apollon. Mais il y fait bien chaud,
Répond Neptune.... Et c'est ce qu'il me faut ;
Je fais des vers, et le climat m'enflamme.
En pays froid , ma veine se morfond.
Neptune , alors : le roi de ce canton
Est généreux : rien ne nous fera faute;
Je serais volontiers son hôte,
Et compte prendre une profession ;
Mais il faut déguiser notre état, notre nom.
Le parti pris, on s'achemine,
On trouve au pied d'une colline
Un homme tout pensif qui gardait des moutons.
Excuse, dit Phébus, si nous te dérangeons ,
L'ami , fais-nous part, je te prie ,
Du sujet de ta rêverie.
Parbleu ! regardez la prairie,
Dit le manant, voilà de quoi faire rêver ;
Car tous mes moutons vont crever.
Frère , dit Apollon, montre ton industrie :
On veut de l'eau , fais-en pleuvoir:
Tires -en de ton abreuvoir.
Neptune agit. Les vents reconnaissent l'empire
Du Dieu de l'humide manoir :
En un instant, leur diligence attire
De quoi noyer tout le terroir ;
Heureusement les dieux trouvent sur leur passage y
Un asyle contre forage.
Un laboureur s'y désolait.
Quelle saison désordonnée !
Plus de moisson : qui s'attendait
A ce déluge, en tel temps de l'année ?
Oh ! très assurément il faut
Que tout le ciel soit en défaut.
Vive le sec! réparons le dommage,
Dit Neptune, éloignons l'orage.
Mes gens ont fait plus que je ne voulais
Ils ont noyé quand j'arrosais :
Le mal n'est pas si grand peut-être ;
De réparer on est le maître.
Phébus, ordonne à tes rayons
De bien dessécher les sillons :
Le Dieu, docile à la prière,
Embrase à l'instant l'atmosphère:
Ah ! s'écriait un jardinier ,
Plus de terreau, plus de fumier;
Et le torrent qui les entraîne,
Avec eux emporte ma graine ;
Et, quand j'y veux remédier,
Le soleil qui perce la nue,
Vient, frappant sur ma tête nue y
A l'improviste m'accabler :
Tout conspire à me désoler.
Je ne sais pas qui nous gouverne;
Mais , pour le certain, on nous berne.
Dès qu'elle entendit ce propos ,
On conçoit bien que l'engeance céleste f
En tournant bien vite le dos,
Dut s'éloigner sans demander son reste.
A la cour de Pergame elle alla s'essayer ,
Et le roi la chargea d'une besogne utile :
Il s'agissait de bien murer la ville;
Furent-ils plus heureux dans ce nouveau métier?
Non, car Laomédon , comme on lit dans le texte,
On ne sait pas sur quel prétexte,
Les renvoya sans les payer.
Jupiter, quoi que l'on en dise,
S'inquiète ; son œil soigneux ,
Tout en souffrant que l'on médise ,
Veille sur l'homme et sur les dieux.
De ceux qu'il a bannis , il a plaint l'aventure ;
Il faut les rappeler. Va , dit-il , à Mercure;
Fais remonter ici ce couple maladroit;
Il veut le bien, ce qui n'est pas à faire
Aussi facile qu'on le croit.
Quand on connaît l'ensemble, on est moins téméraire.

Fable 8


Notes de l'auteur :
- Nason est le surnom d'Ovide.
- Laomédon, roi de Troie, au temps de la fable, où il est fait mention du rétablissement des murs de Troie par Neptune
- Pergame est un des noms de la ville de Troie, comme Ilion


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