Les deux voyageurs Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Deux piétons marchaient lestement.
L’un à autre inconnus, ils suivaient même route.
« Monsieur, dit le plus jeune, à Paris va sans doute ?
J’y vais aussi. Moins tristement,
Ensemble, s’il vous plaît, nous ferons le voyage.
Eh ! bien, vous permettez ? Touchez là. C’est divin.
Oui, seul avec son ombre on s’ennuierait enfin,
Et, ma foi, de sa langue on oublierait l'usage.
Je ne vous connais point, mais votre air m’a charmé.
Je rends grâce au destin de l’heureuse rencontre ;
Et cela, Monsieur, me démontre
Qu’il avait grand’raison mon père bien aimé.
Il prétendait que l'homme est partout sociable.
Si vous l'aviez connu mon père ! Ah! ses amis
Jamais ne verront son semblable.
Tout Nevers de sa mort était inconsolable.
Des l’enfance à ma mère il fut, dit-on, promis :
Quels époux, Monsieur ! Quel ménage !
Mais qui peut ici bas vivre sans ennemis ?
On les brouilla : c’est bien dommage.
Conclusion, de biens on fit partage
Et de corps séparation.
Le désordre suivit : adieu tout l'héritage.
Il me fallait pour vivre une profession :
Sous le coiffeur Jeannot je fis apprentissage.
Sa fille était jolie, et je lui plus d’abord.
Jeannot le voit : Jeannot s’emporte.
Avec certain richard il avait fait accord :
L’apprenti fut mis à la porte.
Voila de Jean Ribon l'histoire en quatre mots.
Chemin faisant, Monsieur, j’en dirai davantage.
Mais vous, du Bourbonnais vous arrivez, je gage ?—
Non. — De Nevers ? — Nenni. — Votre air libre et dispos
Annonce un trafiquant fait sans doute au voyage ? —
Vous vous trompez. — Peut-être allez-vous à Paris
Par plaisir seulement ? — Vous vous trompez encore. —
Pensez-vous y rester bien longtemps ? — Je l’ignore. »
À ces mots en riant au perruquier surpris
Le piéton fit la révérence,
Et dit en le quittant: « Vous avez trouvé bon
De m’admettre d’abord à votre confidence :
Permettez qu’à mon tour je garde le silence.
Bavard et curieux ! c’est trop, Monsieur Ribon.
Allez à qui voudra l’entendre
Raconter votre histoire, et souvenez-vous bien
Que j’ai su toujours me défendre
De livrer mon secret à qui trahit le sien. »

Livre IV, fable 6




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