Au bord d'un grand chemin près d'une vaste plaine
Un platane dans l'air étendait ses rameaux.
Du pied d'un roc voisin sourdait une fontaine
Dont les limpides eaux
Sur un fond d'or coulant avec un doux murmure,
Allaient sous l'œil serein de la simple nature
Arroser le gazon et rafraîchir les fleurs
Qui, croissant sous cet arbre, en parfumaient l'ombrage,
Et d'un charme de plus par leurs suaves odeurs
Semblaient en embellir l'agréable feuillage.
Deux voyageurs un jour de fatigue abattus,
A l'heure où le soleil du haut de sa carrière
Répand à flots pressés sa brûlante lumière,
Sur l'herbe y reposaient mollement étendus :
Du zéphyre léger l'haleine balsamique
Et du dieu du sommeil la puissance magique
Ayant enfin réparé de leurs sens
La vigueur épuisée,
Nos deux bons pèlerins, la tête reposée,
Et le corps rafraîchi, s'éveillent moins pesants.
Des bienfaits de Zéphyr et de ceux de Morphée
L'imagination justement échauffée
Ils se parlent tous deux pour s'en féliciter ;
Tous deux pleins de reconnaissance
A l'envi semblent exalter
De l'un et l'autre dieu l'extrême bienfaisance.
Rien de mieux jusque-là. S'il est permis d'outrer,
S'il est décent d'exagérer,
Sans doute c'est en si noble matière ;
Mais chez l'un d'eux cette belle vertu
N'éclata pas, hélas ! assez entière.
La nature, dit-il, aurait ici bien dû
Au lieu d'un arbre aussi stérile
En planter un d'une espèce fertile,
Par exemple, un palmier
Ou bien un cocotier,
Ou tout autre semblable.
Car après tout à quoi ce platane est-il bon ?
Beau tronc, mais de fruit point. S'il était près de ma maison
La hache dès demain à terre..... Misérable,
Dit l'arbre avec l'accent de l'indignation,
C'est donc être inutile
Que de t'avoir sous mon vaste contour
Offert un sûr asile
Contre les feux du jour ?
Sans le dôme de mon feuillage,
Sans la fraîcheur de mon ombrage
Peut-être, ingrat, n'existerais-tu plus.
Téméraire mortel, ajouta le platane,
De la nature apprends par mon organe
Qu'elle n'a point fait d'êtres superflus ;
Que tout sort de sa main au coin de la sagesse,
Et que le ciron même a son utilité.
Que ce système ou te plaise ou te blesse,
Toujours est-il constant qu'admis ou rejetté
Ce sublime mystère
De l'éternelle vérité
N'en conserve pas moins l'auguste caractère.