La Marmotte et le Singe Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Une Marmotte surannée,
Qui dormait moitié de l'année,
Et qui, l'autre, dansait fort mal,
Lorsqu'il fallait donner le bal ,
Sur un char qui menait en ville
Toute une bande de vauriens ,
Tant ours, Singes , guenons , que chiens,
Prit un jour querelle avec Gille:
Ce Gille était un Singe habile
Faisant des tours très amusants :
Grand écuyer, sauteur agile ,
Sachant jouer à croix ou pile »
Et grimacier des plus plaisants ;
D'ailleurs, un fort bon camarade,
Hors quand on servait la salade;
Car, avant qu'on eût fait les parts,
Il en escamotait trois quarts.
En cheminant pour se distraire,
On raisonnait un peu de l'art ;
On se louait , c'est l'ordinaire.
Le talent se montre sans fard.
A quoi bon tant de modestie ?
De s'en masquer on est bien sot.
Le public, quand on s'humilie
Est tout prêt à vous prendre au mot.
Le Singe disait : Pour la foire
On m*attend , on n'attend que moi.
Si je manquais, on peut bien croire
Que tout irait en désarroi;
Hâtons-nous, crainte qu'on ne hue
L'entrepreneur et sa recrue.
Oui, je le pense comme vous,
On a très grand besoin de nous,
Dit la marmotte: sans la danse,
On doit s'ennuyer à périr,
Et l'entreprise doit souffrir
Du défaut qu'y fait ma présence ;
Là danse est l'âme du plaisir.
Je ne veux pas m'enorgueillir
Des succès que j'eus en province;
Mais voyez la boîte ou je suis :
Ce cadeau-là me vient d'un prince ;
Je sus dissiper ses ennuis.
L'entreprise était difficile ;
Des tours il en aurait vu mille,
Sans être dupe de ce jeu.
Je danse, et le voilà tout feu.
Oh ! oh ! madame la marmotte,
Dit le Singe, votre talent
Est de danser Comme l'on trotte.
Vous parlez comme un impudent,
Un tabariu, dit la danseuse... ;
Et vous, tout comme une écosseuse,
Lui répond le Singe ahuri.
A ce mot, il s'élève un cri,
Capable de percer l'oreille.
La bande des chiens qui sommeille ,
Tout-à-coup s'éveille en sursaut,
Et le prend sur un ton si haut,
Que sa voix dominant sur elle ,
Change en vacarme la querelle,
Et, sans le fouet du charretier,
On ne cesserait d'aboyer.
Voyant en qui, pourquoi, l'orgueil se manifeste ,
Ou aurait du plaisir à devenir modeste,
Et cela viendrait à propos :
Car pourquoi loin de nous mendier des exemples.
La poésie avait jadis des temples,
Quand l'orgueil de l'idole écarta les dévots.

Fable 15




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