La Marmotte et la Belette Étienne Azéma (1776 - 1851)

Faisaient jadis commerce. Un bel et bon accord
Régla tout, dépense et recette,
Et bénéfice aussi. Tout alla bien d'abord ;
Tout prospéra. Ces pèlerins,
Rôdant, trottant à travers champs,
Dans le commun logis apportaient leurs rapines ;
Et les grains allaient grossissants.
Parfois Marmotte l'endormie
Au fond d'un tonneau se glissait ;
Et la Belette au loin criait :
Qui veut voir la Marmotte en vie ;
La pièce curieuse ! Et chacun d'accourir ;
Et leur bourse de se remplir.
Un jour il arriva qu'au gîte
La Marmotte manqua. Je vous laisse à penser
L'effroi de la Belette, Elle sort, va, s'agite,
Demande à tout venant si l'on a vu passer
La Marmotte, sa mie, ayant joli corsage,
Patte blanche et gentil abord.
Les gens lui riaient au visage ;
Et tous répondaient : Elle dort,
La pauvrette, fort affligée,
Retourne à son comptoir, s'arrange de son mieux,
Pestant tout bas d'être obligée
De travailler seule pour deux.
Six mois passés, sa camarade
Arrive un beau matin. Eh ! d'où donc venez-vous ?
Lui dit-elle. Etiez-vous malade ?
Peut-être, soit dit entre nous,
Avez-vous parcouru les côtes d'Amérique,
Et l'Afrique et l'Asie aussi.
Qu'apportez-vous de leur fabrique ?
— Vous vous moquez de moi, je n'ai bougé d'ici.
J'ai dormi tout ce temps, comme font mes pareilles.
Dès que le printemps a paru
Et ramené les fleurs vermeilles,
Vers vous aussitôt j'ai couru.
- Eh quoi ! la moitié de l'année,
Quand moi ! je vais, je cours, vous prenez du repos !
— Qu'y faire ? Je suis ainsi née ;
Et je viens aujourd'hui reprendre mes travaux.
— Choisissez une autre demeure.
Je romps avec vous mon traité.
Je veux d'une société
Où l'on soit levé de bonne heure.
Adieu donc, souvenez-vous bien
Qu'en un champ qu'on néglige il ne croît que de l'herbe,
Et rappelez-vous le proverbe :
Ce n'est pas en dormant qu'on amasse du bien.

Livre IV, Fable 3




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