L'Avare et ses Dieux Pénates
LE feu prend chez Harpagon ;
Notre homme accourt il arrive,
Il se livre avec raison
À la douleur la plus vive.
Nul secours n'est de saison,
Et bientôt la flamme active
Va dévorer la maison.
Dieux inhumains ! dieux barbares !
Dit le cancre demi-mort,
Dieux que je servais à tort !
L'Avare, après ce transport,
Laisse là pénates, lares ;
Il court à des objets rares;
Car ses dieux n'étaient pas d'or :
Sur son dos met son trésor ;
Sort, et pour aller sans doute
Enterrer en quelque lieu
Son bien, son âme et son Dieu;
Des voleurs sont sur sa route :
Ces brigands couraient au feu.
Toujours gens de cette espèce
Dans le désordre ont beau jeu.
Compagnons, dit l'un d'entre eux;
La fortune nous caresse :
-Le butin vient nous chercher.
Monsieur, dirent-ils à l'homme,
Vous risquez de trébucher.
Il fallut bien la lâcher.
O désespoir ! ô furie !
Courons à notre bûcher ;
C'est trop endurer la vie.
C'est ce que dit Harpagon !
Il retourne à sa maison
Pour s'étrangler, pour se pendre,
S'il lui restait un cordon,
Ou s'enterrer sous la cendre.
Il trouve tout en charbon ;
Mais les dieux, par leur puissance,
Ont préservé leur autel.
Ils rompirent le silence
En voyant le criminel
Eh bien, insensé mortel !
Connais-tu ton imprudence ?
Tu comptais pour rien tes dieux;
Vois, qu'il ne te reste qu'eux.