De tous les vices des humains
Le plus moqué, c’est l’avarice.
C’est aussi le plus fou. Bernez-le, c’est justice.
Quant à moi, j’y donne les mains.
Qu’Apollon me mette à sa place ;
J’arme tous les auteurs contre un vice si sot.
Nul rang, nul honneur au Parnasse
À quiconque sur lui n’eût pas lâché son mot.
Mais quoi ? Me diraient-ils ; la matière est usée :
De quels siècles, de quels climats
N’a-t-il pas été la risée ?
Qu’en dirons-nous ? Plutôt, que n’en direz-vous pas ?
Peignez l’avare en sa folle disette,
De Belsebut infame anachorète,
Qui fait vœu sur son or de renoncer à tout :
Qui se traite lui-même à sa table maudite,
Comme un effronté parasite
Qu’il voudrait éloigner par un mauvais ragoût.
Quand le vice est opiniâtre
La satyre doit l’être aussi.
Allez le bafouer de théâtre en théâtre,
Tant qu’à le corriger vous ayez réussi.

Mais ne l’attaquez pas avec des bras d’Hercule ;
Vos efforts seraient superflus.
Servez-vous des traits de Momus ;
Il est défait s’il voit son ridicule.
Eh ! Ne le voit-il pas ? Ne l’a-t-on pas bien peint ?
L’avare ignore-t-il, si quelque sens l’éclaire,
Qu’en se privant de tout de peur de la misère,
Il se fait tout le mal qu’il craint ?
On s’en moque ; il est insensible ;
Ce qui le fâche d’un brocard,
C’est qu’il n’en peut grossir sa chevance d’un liard.
Oh ! Je me rends ; la cure est impossible,
Le vice sans pudeur est trop incorrigible.
Auprès d’un immense trésor
Certain avare expira de misère ;
Et dans sa demeure dernière,
N’emporta qu’un denier qu’on lui plaignit encor.
Car telle est la gent héritière ;
Vous lui laissez des monceaux d’or ;
Elle plaint au défunt le bucher ou la bière.
Notre ombre arrive au Stix dans le temps que Caron
Recevoir son droit de passage,
Et repoussoir de l’aviron
Quiconque n’avait pas pour payer son voyage.
Mais l’avare amoureux de son pauvre denier
Ne peut s’en dessaisir. Il fraude le péage ;
À la barbe du nautonnier,
Dans le milieu du Stix il se jette à la nage ;
Fend le fleuve. On a beau crier ;
L’ombre, à force de bras, atteint l’autre rivage.
Cerbère à son aspect, aboya triplement.
Bientôt à l’affreux hurlement
Des noires sœurs vient la cruelle bande,
Qui se saisit dans le moment
De cette ombre de contrebande.
On la mène à Minos ; le cas était nouveau :
On veut par un exemple assurer le bureau.
Vous eussiez vû Minos rouler dans sa cervelle
Le crime et la punition.
L’ombre avare mérite-t-elle
Le tourment de Tantale, ou celui d’Ixion ?
L’envoira-t-il relayer Prométhée,
Ou bien aider Sisyphe à rouler son fardeau ?
Vaut-il mieux l’obliger à remplir ce tonneau,
Où des brus d’Egyptus la troupe détestée
Perd toujours sa peine et son eau ?
Non, dit Minos. Il faut le punir davantage.

Les tourments d’ici ne sont rien.
Qu’il s’en retourne au monde : ouvrons-lui le passage.
Je le condamne à voir l’usage
Que l’on va faire de son bien.

Livre I, fable 19






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