Dans l’Égypte jadis toute bête était dieu ;
Tant l’homme au contraire était bête !
Tel animal ailleurs, qui n’a ni feu ni lieu,
Avait là son temple et sa fête.
On avait fait un jour dans le temple du chat
D’un rat blanc et sans tache un pompeux sacrifice.
Le lendemain, c’est le tour du dieu rat :
Il faut, pour le rendre propice,
Qu’à ses autels un chat périsse.
Maître matou marchait de festons couronné,
Et de prêtres environné.
Du dieu rat jusqu’aux cieux on portait la louange.
Strophe, antistrophe, épode, harmonieux ramas :
Petits faits et grands mots ; pindarique mélange.
Chacun priait le dieu de ménager sa grange.

Ne nous punissez point des insultes des chats,
Disait-on : que le sang de celui-ci vous venge.
Lui dieu ! Disait le chat. Et ! Vous n’y pensez pas :
Qui suis-je donc moi qui le mange ?
Hier c’était pour moi que fumait l’encensoir ;
Aujourd’hui mon trépas vous paraît légitime.
Pourquoi passer ainsi du blanc au noir ?
J’étais dieu ; me voilà victime.
Reproche embarrassant qu’on ne résolut point.
Nous sommes tous d’Égypte, et leur mode est la nôtre.
Quels sont nos dieux ? Nos passions,
Que suivant les occasions
Nous immolons tour à tour l’une à l’autre.

Livre I, fable 18






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