Le petit Vaisseau enchanté Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Pour amuser son jeune enfant,
Mais l'amuser en l'instruisant,
Certain père habile en physique
Dans le milieu de son jardin
Avait placé sur un bassin
Un petit appareil nautique.
Là, d'un majestueux vaisseau
Le navire en miniature
Singeait les bords, la forme, la mâture,
Comme à la mer se balançait sur l'eau.
Ce chef-d'œuvre en son genre unique
Était de plus un navire enchanté.
Une baguette en main, par un pouvair magique,
On peut le diriger partout à volonté.
A l'instant même, au signal qui le guide,
L'obéissant vaisseau fend l'élément liquide ;
Libre, sans qu'on le touche et sans être enchaîné,
Partout il suit l'ordre donné.
L'enfant est confondu d'une telle merveille ;
Sa curiosité s'éveille :
« Qui peut soumettre ainsi ce navire à ma loi ?
Est-il doué d'intelligence ?
Mon père, expliquez-moi quelle est donc la puissance
Qui le conduit ainsi vers moi ? »
Ce vaisseau, mon enfant, n'est que simple matière,
Mais la matière aussi, par de vastes décrets,
Est soumise en esclave à des pouvairs secrets.
Il en est un qui règne en la nature entière ;
Au travers de l'espace il agit librement,
Imprime aux corps le mouvement ;
Par lui dans l'univers tout s'appelle et s'attire,
Tout a son centre, à s'unir tout aspire.
La terre en gravitant cherche l'astre du jour ;
Notre globe dans son orbite
Exerce l'empire à son tour ;
Sur lui du sein des airs le poids se précipite.
Aux moindres éléments ce pouvair dicte encor
La loi qui les combine et les met en accord ;
Mais variant ses influences,
Introduisant entre eux certaines préférences,
Sans cesse il reproduit mille ouvrages nouveaux.
En mille lieux sa féconde énergie
Sait du sein de la mort faire jaillir la vie
Et tirer l'ordre du chaos.
Par une affinité savante,
Elle porte la sève aux tuyaux de la plante,
Elle vient animer jusqu'au froid minéral,
À la voix de l'aimant émouvoir le métal.
Le fer lui-même cède au penchant qui l'entraîne
Vers la pointe où siège l'aimant.
Par ce secret attrait ton vaisseau s'animant
Produit le charmant phénomène
Qui sur notre bassin se déploie en ce jour.
L'attraction partout commande en souveraine ;
On dirait un immense amour
Qui de tout l'univers forme une vaste chaîne :
Chaque être le ressent et l'obtient à son tour. »

A son fils bien-aimé le père sage et tendre
En ces mots avait répondu,
Et de son jeune esprit s'était bien fait comprendre.
Je sais des cœurs aussi qui m'ont bien entendu :
Oui, de la douce sympathie
L'universelle loi partout est ressentie.
Par son pouvair mystérieux,
Les âmes en tous lieux s'appellent, se répondent,
S'expliquent l'une à l'autre, ensemble se confondent.
Ce sentiment pur et religieux
Dans le monde moral introduit l'harmonie ;
Par lui l'humanité de saints nœuds est unie,
Et la terre s'allie aux cieux.

Livre III, Fable 13




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