Vers un monde nouveau, d'un long joug délivré,
Mais sujet de nos arts, de leurs produits avide,
Un vaisseau de nos ports, par l'espoir attiré,
Voyageait au travers de la plaine liquide,
Transportant dans son sein le tribut abondant
Que forma le travail en maint chef-d'œuvre utile.
D'un tel message fier, en son port élégant,
Il voguait d'une course agile,
Par l'immense élément doucement balancé,
Comme une molle chevelure
Agitant dans les airs sa légère voilure,
Vers son but par les vents directement poussé.
Tout promettait le plus heureux voyage,
Le temps était superbe et le ciel le plus pur
Ne laissait craindre aucun orage.
Pendant la nuit, sur un manteau d'azur,
Il étalait mille étailes brillantes ;
La mer réfléchissait leurs clartés scintillantes.
Le jour, des mers maint bizarre habitant,
Quittant sa demeure profonde,
Serpentant, plongeant, se jouant,
Sillonnait en tous sens la surface de l'onde.
Voltigeant à l'entour, maint aquatique oiseau
A l'aile prolongée, à la forme sauvage,
Offrant un spectacle nouveau,
Saluait le navire aussi sur son passage.
L'équipage admirant tant d'objets inconnus,
Au port qui l'attendait désormais plus ne songe ;
Il s'amuse, rit et se plonge
Au sein de plaisirs continus.
Il n'est pas jusqu'au capitaine
Qui, dans un doux repos, ne se met plus en peine
De consulter l'instrument précieux
Que, pour guider de l'un à l'autre pôle,
Bréguet régla sur la marche des cieux.
Sans gouvernail et sans boussole,
Au sein des mers le navire égaré
Suit des vents l'humeur incertaine ;
Il trouve un courant qui l'entraîne,
Sur un récif est attiré :
Aux jeux succède une secousse horrible.
Un roc enseveli sous l'eau
Brise, avec un fracas terrible,
Le flanc du fragile vaisseau.
L'onde engloutit sa proie... et le voyage
Se termine par un naufrage.
Il faut avoir un but déterminé,
Un but surtout par la vertu donné.
Tous les dons que la Providence
Verse, dans sa bonté, sur ton adolescence,
Ne deviendront pour toi qu'un extrême danger,
Si tu ne sais au but toujours te diriger.
Sois un habile et prudent capitaine,
Sur les flots de la vie humaine
Qui tient le gouvernail sans jamais s'endormir.
Un mouvement sans but est une course vaine ;
Disons mieux : tôt ou tard, divaguer, c'est périr.
Vis pour bien faire, et non pas pour jouir.
Bréguet est un célèbre horloger