Les Fêtes du mont Olympe Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

À la ville de Lycosure
Qui non loin de l'Alphée élève ses remparts,
Pays charmant où la nature
En sa beauté naïve a défié les arts,
Visitant le Péloponèse,
Un voyageur avait porté ses pas.
Il arrivait, il était las :
« Ici, dit- il, respirons à notre aise ;
Tout semble du repos conseiller la douceur.
Près de son urne en paix la Naïade murmure ;
Les champs sont tapissés de fleurs et de verdure ;
L'air parfumé répand une aimable fraîcheur.
Je te vois, heureuse Arcadie,
Et le but de ma course, enfin, est obtenu. »
(Ajoutez que d'ailleurs notre homme était venu
De ces régions de l'Asie
Où l'on aime un plaisir sans fatigue acheté,
Où chacun ne jouit qu'autant qu'il se repose,
Où sur la couche un pli de rose
Troublerait du sommeil la douce volupté).
Cependant, au dehors, une foule empressée
En torrents se précipitait ;
La ville entière paraissait
De ses habitants délaissée.
Partout on ne voyait que des groupes joyeux,
Tout respirait un air de fête.
Chaque vierge de fleurs avait orné sa tête,
Et le vieillard, aussi, sur un bâton noueux
Appuyé, se hâtait, cherchant de sa jeunesse
A rappeler la force et la vitesse.
« Étranger, c'est la main des dieux
Qui te conduit aujourd'hui dans ces lieux.
Viens avec nous, de l'Arcadie
Tu verras les jours les plus beaux.
Chez de simples bergers, à ton âme ravie
Sont réservés des transports tout nouveaux ;
Viens avec nous. » Telle était la prière
Qu'au voyageur faisait l'Arcadien
Dont la demeure hospitalière
L'avait reçu. « Cher hôte, c'est fort bien,
« Répond l'autre, je suis touché de tes instances ;
Mais il faut, avant tout, connaître les distances,
Les dissicultés du chemin.
S'il faut gravir, ma foi, je remets à demain. »
- Allons ! dit le Grec, prends courage !
Il ne s'agit que d'un voyage
De cent dix stades à peu près ;
«Nous marcherons sous des ombrages frais.
« Quoi ! vers les sources de l'Alphée,
« Sur cette montagne sacrée
« Où parmi les mortels fut nourri Jupiter,
« Où subsistent encore et son prêtre et son temple,
« Ton cœur ne sent-il pas le besoin de monter ?>>>
Le voyageur entraîné par l'exemple,
Quoique à regret, gravit les sommités
Où le peuple aux solennités
Accourt, dans les vallons, plein d'ivresse et de joie,
Comme un feston de fleurs au loin qui se déploie.
« Ce mont, du haut duquel se promènent tes yeux,
Est l'Olympe, séjour favorisé des dieux.
La fête de ce jour à Pan est consacrée.
Tu pourras voir la biche révérée
Qu'avant la prise d'Ilion
Nos pères, dans ces lieux, captive ont amenée ;
Elle compte déjà sa sept-centième année.
Mais tu suivras surtout les traces d'Apollon,
Qui de ses nobles dons embellissant la vie
Et parmi nous simple pasteur,
De nos rochers bannit l'antique barbarie
Et nous fit dans les arts rencontrer le bonheur.
Aussi la gloire la plus pure
Toujours, en Arcadie, appartient au berger ;
Les arts sont parmi nous enfants de la nature. »
Ainsi disait le Grec à l'étranger.
Soudain voilà qu'une pompe charmante
Se déploie au milieu de la plaine riante,
Et du concert de mille voix
Au loin retentissent les bois
Qu'à Pan consacra l'Arcadie.
La terre, en ce beau jour, semble être rajeunie ;
L'air lui-même embaumé de suaves odeurs
Semble avoir enlevé tous les parfums aux fleurs.
Là, sur un tapis de verdure,
L'étranger se repose à l'ombre des ormeaux,
Admire la bergère en sa simple parure,
Voit à l'autel de Pan l'élite des troupeaux,
De fleurs ornée, en triomphe conduite.
Le berger dans la lice où la gloire l'invite
S'élance et cherche son rival.
La trompette des jeux a donné le signal :
Ceux-ci tendent leur arc, ceux-là dans la carrière,
Sous leurs pas, en courant, font voler la poussière.
Plus loin, dans des bosquets fleuris,
Célébrant ses amours, un berger sur la flûte
Qu'il reçut d'Apollon, dispute
En ses accords un noble prix.
Sur la prairie une bande joyeuse,
Qu'annoncent des chants solennels,
Vient, d'une danse gracieuse,
Du dieu champêtre entourer les autels.
« Ami, dit l'étranger, je renonce à l'Asie ;
De mes longues sueurs je perds le souvenir ;
Je renais aujourd'hui pour un autre avenir,
Et désormais l'Olympe est ma patrie. »

Ton jeune cœur, je le sais, ô mon fils,
Dédaigne les conseils d'une lâche mollesse.
Viens, visite avec moi les beaux champs de la Grèce,
D'un pas ardent sur l'Olympe gravis.
Là t'attendent aussi des fêtes magnifiques.
Je crois entendre Orphée ! Hésiode, à nos yeux,
Dévoile dans ses vers la naissance des dieux.
Homère des temps héroïques
Peignant l'antique et simple majesté,
Conduit les demi-dieux à l'immortalité.
Sur un ton inspiré faisant frémir sa lyre,
Pindare porte au ciel la gloire et la valeur.
La tendre Sapho de son cœur
Dans l'élégie exhale le délire.
• Jeune toujours, Anacréon sourit,
Chante l'amour, les plaisirs, la folie.
De Théocrite, au sein de la prairie,
Le doux chalumeau retentit.
Père de la muse tragique,
Eschyle sur la scène enfante la terreur.
Sophocle accorde un ensemble harmonique.
Euripide attendrit le cœur.
Aux timides mortels tous trois, nobles émules,
Dévoilent les arrêts par le destin rendus.
Aristophane vient : il peint les ridicules,
Il ose même aussi censurer les vertus.
Hérodote en ses mains a les clefs de l'histoire.
Strabon de l'univers a tracé les contours.
Des Héros Thucydide a raconté la gloire.
De ses lois la nature a révélé le cours
Au savant Asclepiade, au prêtre d'Épidaure.
Non moins grand médecin, le sage Pythagore
Des passions guérit le cœur,
Dans de sobres désirs fait trouver le bonheur.
Les portes de l'académie
S'ouvrent : Platon paraît, et la philosophie
Développe aux humains ses augustes secrets.
Aristote, au sein du lycée,
Règne et soumet à ses décrets
La science, les arts, la langue et la pensée.
Mon fils, que de noms glorieux,
Dans ces beaux siècles de la Grèce,
Je pourrais évoquer encor devant tes yeux,
Pour proposer à ta jeunesse
Les plus féconds enseignements !
Mais elle a, j'en suis sûr, en ses nobles élans,
Déjà saisi le but de mon allégorie,
Et de la Grèce le génie,
En inspirant tes classiques travaux,
A ton zèle ouvrira des horizons nouveaux.

Livre III, Fable 10




Commentaires