Diane est des chiens le modèle,
Diane a toutes les vertus.
Certes, on n'en trouvait pas plus
Dans ce chien sans pareil, le compagnon fidèle
Qui de Saint-Roch suivait les pas.
Jamais vit - on chienne aussi belle ?
Mais ses talents encor surpassent ses appas :
Eh ! qui pourrait douter de son mérite extrême ?
Car son maître en convient lui-même.
Dès le matin, voyez avec quel soin
Elle fait toilette élégante !
De vos secours aurait-elle besoin ?
Dans sa pantomime éloquente
Voyez comme elle sait mettre le sentiment !
Comme à la main qui la caresse
Elle se prête mollement !
Admirez avec quelle adresse,
Employant tour à tour la patte et le museau,
D'une porte bâillante elle ouvre le panneau !
Avec quelle grâce infinie,
Toujours et discrète et polie,
Elle attend, elle accepte un os, même un biscuit !
De l'éducation tel en elle est le fruit,
Qu'elle mange de tout, et la fraise sucrée,
Et le melon fondant, et la pêche embaumée,
Le lait, le chocolat, le café, tout suffit,
Tout..... à son modeste appétit.
Voyez-la chaque jour, mère tendre, indulgente,
Sur le gazon jouer avec son cher
Lui donner le signal de la lutte plaisante ;
Allongée, en arrêt, l'agaçant, le guettant,
Grondant, montrant les dents pour dévorer sa proie,
Mêlant la fureur à la joie ;
Puis, de l'arc que décrit son fils de tous côtés,
Suivant la corde à pas précipités
Pour le saisir à l'improviste ;
Puis, sur ses pas s'élançant à la piste ;
Puis, derrière un ormeau blottie en tapinois,
Le regarder d'un air sournois.
Mais il est temps de suivre, enfin, notre héroïne,
Sur le brillant théâtre ouvert à ses exploits.
Je n'entends point ici parler de la cuisine,
Quoique Diane y daigne entrer, dit - on, parfois.
Je veux parler des guérets et des bois,
Et de ces jeux, image de la guerre,
Dignement appelés l'amusement des rois.
Le moment est venu, le jour paraît prospère.
Mon fils, en se levant, de ses souliers ferrés,
De ses guêtres de cuir a formé sa chaussure ;
Diane, d'un clin d'œil, comprend l'heureux augure.
Les flasques, le fusil, déjà sont préparés ;
L'assortiment complet garni la gibecière ;
Diane observe tout, suit son maître en tous lieux.
Les coussins ont perdu tout attrait à ses yeux ;
Dans son sein palpitant brûle une ardeur guerrière ;
De ses succès futurs, par avance, elle est fière,
Et le lièvre, d'avance, en son gîte a frémi.
Brillant, son fils, son jeune ami,
Accourt prendre part à la fête,
Mais sans savoir ce qui s'apprête,
Pensant tout bonnement se mêler à des jeux.
Bondissant, il folâtre à l'entour de sa mère,
Cherchant à provoquer quelques ébats joyeux,
Mais vainement cherchant à la distraire.
Enfin la porte s'ouvre ils s'élancent tous deux.
Salut, ô champs heureux, ô théâtre de gloire,
Qui de tant de hauts faits conservez la mémoire !
Loin des regards, déjà, Brillant a disparu,
Il vole dans la plaine immense.
Avec un air d'indifférence,
Aux côtés du chasseur recueillant sa vertu,
La queue et la tête baissées,
Diane marche pas à pas,
Sans doute méditant tout bas
De vastes et neuves pensées.
Elle attend sagement qu'asile du gibier
Un champ couvert lui vienne offrir une remise.
Brillant toujours au loin court, comme un lévrier.
Pour de vains jeux qu'elle méprise,
Diane se garderait bien
De compromettre une entreprise
Où doit se déployer tout son savoir de chien.
Tranquille, elle voit tout sans émoi, sans surprise.
Soudain le fumet odorant
Sur les pas du gibier l'appelle et la convie ;
Son front est sérieux, son œil étincelant
Annonce l'éveil du génie.
Sur la perdrix qui court en longeant le sillon,
Se dérobant sous la verdure,
Va-t- elle s'élancer, semblable au tourbillon ?
Non, certes, mais toujours fidèle à sa nature,
Procède avec méthode, avance avec lenteur,
D'un geste de sa queue avertit le chasseur,
L'attend et demeure à portée,
Craignant que la perdrix, à partir trop hâtée,
N'échappe au coup qui doit la foudroyer.
Elle va, vient, furête et guette,
Visite chaque lieu ; tout à coup, elle arrête.
O Zeuxis, Raphaël, venez étudier
Le tableau qu'à votre art offre ici la nature !
Vos pinceaux seuls peuvent en ce moment
Nous reproduire dignement
De la Vénus des chiens la divine posture.
Ô surprise ! ô douleur ! et de tant de vertu
Comment le fruit s'est-il subitement perdu ?
De Brillant l'ardeur indiscrète
Est venu déranger un calcul si savant.
Lui qui sur le chaume, en avant,
Pourchassait la simple alouette,
Tout au travers de l'herbage touffu
En quelques bonds est survenu,
Pensant toujours faire de vrais prodiges.
Il galvaude au hasard tout le terroir sacré
Où le gibier s'était fourré,
Sans même en suivre les vestiges.
Voilà qu'à deux cents pas du chasseur désolé
Les perdrix partent à la ronde ;
De son côté, le lièvre a détalé,
Et Brillant après lui court.... jusqu'au bout du monde.
Diane en a souri, de rage et de pitié :
Du champ de ses combats restant seule maîtresse ;
Sans que de son cher fils la folle maladresse
Pour tout gâter se mette de moitié,
Diane, désormais, du talent qui l'inspire
Avec sécurité pourra suivre le cours.
Vers la remise où son instinct l'attire,
Elle se dirige toujours.
Rien ne saurait l'égarer, la distraire,
Et se préoccupant de son unique objet,
Épiant, découvrant, pressant son adversaire,
Elle le suit de guéret en guéret.
Le chasseur marche à côté d'elle
Et l'observe d'un œil attentif,
Pendant qu'à son devoir fidèle
Elle explore, elle attend le moment décisif.
Alors elle répond avec intelligence
Au signal entre eux convenu.
Sur le gibier elle s'élance,
Le coup part.... il est abattu.
Acceptant sa part de la gloire,
Des succès de son maître, oh ! comme elle jouit !
Dans cette commune victoire,
C'est pour son maître aussi qu'elle se réjouit.
Au capitole ainsi qu'au sein de Rome antique,
Accompagné de la pompe publique,
Montait le consul triomphant,
Diane prend et transporte la proie.
Elle s'avance à pas lent ;
D'une juste fierté l'image se déploie
Dans ses regards, sur son front rayonnant ;
Elle agite sa queue en étendard flottant,
Redresse ses longues oreilles,
Satisfaite, en secret, de ses propres merveilles,
Et comme accoutumée à ce rôle si beau,
Jusqu'aux pieds du chasseur apporte son fardeau.
Sans doute, j'aurais dû, mon fils, pour te complaire,
Dans un poème entier chanter, nouvel Homère,
De Diane tous les hauts faits.
J'aurais dû peindre encore mille traits :
Et comme elle s'assoit, à tes ordres docile ;
Comme elle tend la patte à qui lui tend la main ;
Comme, au son de la cloche, en interprète habile,
De la salle à manger elle prend le chemin ;
Peindre cette brune fourrure
Aux poils si longs, si fins et si touffus ;
Ces franges, de ses pieds élégante bordure ;
Sur son front cette bosse où Gall de ses vertus
Eût découvert l'organe indubitable.
Mais il suffit, parmi ses qualités
Le talent pour la chasse est le plus admirable,
Il nous offre des traits dignes d'être imités,
Et c'est là que tendait ma fable.
Toi qui te plais à voir en elle un idéal,
Avec plaisir contemplant ce modèle,
Dans les champs du travail tu chasseras comme elle,
Et, sans railler, tu ne feras point mal.
Dans la carrière des études,
Un jeune homme rempli de zèle et de talent,
S'il ne s'est imposé de sages habitudes,
Peut s'égarer comme Brillant.
Ce zèle même qui l'honore,
Le perdra s'il veut tout embrasser à la fois ;
Si, dans l'ardeur qui le dévore,
Il ne sait se fixer ni limites, ni choix.
Vous l'entendrez, comme un vrai virtuose,
Sur chacun de nos arts parler en connaisseur,
S'essayant en vers comme en prose,
Savant, physicien, philosophe, orateur.
Quelque thèse théologique
Peut-être tente aussi son esprit curieux.
Les systèmes de politique
Ne sont, dans ce temps-ci, pour lui que de vains jeux ;
On sait que pour juger sur semblable science,
Comme un penseur profond, original,
Il suffit maintenant en France,
Chaque matin, de lire son journal.
Tant il court, tant il voit, et tant il étudie,
Que ce qu'il acquiert, il l'oublie.
En voulant tout savoir, enfin, il ne sait rien ;
Car on ne sait vraiment qu'autant que l'on sait bien.
Esprit universel, sans doute, mais frivole,
S'il veut se rendre utile à lui-même, au pays,
Pour pouvair appliquer, il faudra, tout surpris,
Qu'abdiquant son savoir il retourne à l'école.
Pour toi, prudent en tes desseins,
Tu sauras éviter ces erreurs de la mode ;
Dans tes travaux marchant avec méthode,
Tu te rappeleras que l'étude a ses fins.
Je sais qu'une sage harmonie
Doit unir dans leur jeu toutes nos facultés ;
Je sais le nœud secret qui lie
A tous les sentiments toutes les vérités.
Dans des études libérales,
Par des notions générales
L'esprit s'élève, il devient plus fécond,
Et le goût orne la raison.
Mais aux détails du plan que l'unité préside ;
Il faut donner une base solide
Au monument que tu construis.
Comme le jardinier, taille la branche oiseuse,
Et concentre avec soin la sève vigoureuse
Dans celle qui porte des fruits.
Qu'un but, qu'un noble but, marqué par la sagesse,
Fixe de tes travaux le rang et les rapports ;
Avec suite, avec paix, les dirigeant sans cesse,
Ne laisse point errer l'ardeur de tes efforts.
Observer, comparer, écouter et se taire,
N'assembler que pour combiner,
Circonscrire et coordonner,
De l'art de bien savoir voilà tout le mystère.