Le Hibou et la Fauvette Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Du matin jusqu'au soir enfoncé dans son trou,
Un mélancolique hibou
Tenait toujours sa porte close.
« Maint bon homme, dit- on, suppose
Qu'il existe un soleil ; ma foi, je n'en sais rien.
« Après tout, je me trouve bien.
Telle était la philosophie
Du morose hibou. La fauvette lui dit :
Qui fit croître cet arbre où tu passes ta vie,
Ainsi que le feuillage où tu poses ton nid ?
Qui fit naître l'insecte, aussi, que tu dévore ?
Et lorsque les frimas t'ont fait longtemps jeûner,
Qui nous rend la chaleur encore ?
A quoi donc, mon ami, sert de te condamner
A ne jamais voir la lumière ?
En vain tu fermes ta paupière,
Le soleil suit son cours et brille sur nos champs ;
Il te nourrit, ingrat, pendant que tu le nie ;
Tu prives seulement ta vie
De ce bonheur que célèbrent mes chants. »

La nature à nos cœurs montre l'auteur suprême.
L'impie à son éclat vainement se soustrait ;
De celui qu'il blasphème il goûte le bienfait.
Dans sa morne doctrine ennemi de lui-même,
Seul, triste, en son réduit obscur,
A son âme il ravit le bonheur le plus pur.

Livre III, Fable 16




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