Dans le miroir d'une fontaine,
Un jour, ou plutôt une nuit,
Un Hibou, par hasard, se vit :
« Oh ! oh ! dit-il, la chose est très certaine,
Je puis le dire sans orgueil,
Je suis beau, mais très-beau : quel air noble ! quel œil !
Quel joli bec ! quel beau plumage !
O dieux ! si sans postérité
J'allais mourir ! en vérité,
Ce serait un bien grand dommage.
Marions-nous ; mais, parmi les oiseaux,
En sera-t-il, je le demande,
D'assez nobles et d'assez beaux
Pour mériter une faveur si grande ?
Je n'en vois qu'un : c'est l'Aigle ; oui, l'Aigle a justement
Sa fille à marier : agissons promptement. »
À la Corneille son amie
Il révèle son beau projet.
Y pensez-vous ? qui ? vous, sujet,
Dit celle-ci tout ébaubie,
Vous mettre en tête un tel dessein !
De notre roi, qui ? vous ! vous demandez la fille ?
Oui, moi, dit le Hibou je crois qu'à ma famille
L'Aigle seul peut s'unir d'un éternel lien :
Va lui porter ce vœu, va, cours, je t'en supplie.
- Vous le voulez ? C'est un point résolu.
- Soit s'il vous en arrive au moins quelqu'avanie,
Songez que vous l'aurez voulu.
- Pars, te dis-je. - Je pars. En effet, la Corneille
Va trouver l'Aigle en son palais,
Et du Hibou lui conte les projets.
L'Aigle, d'abord, à peine en croit à son oreille ;
Mais enfin, la Corneille insistant, suppliant :
« Eh bien ! répond l'Aigle en riant,
Demain, lorsque le jour commencera de poindre,
Qu'en ces lieux le Hibou s'empresse de me joindre,
Il recevra ma fille de ma main. »
Notre Hibou (tant l'orgueil est crédule !)
De douter un instant se serait fait scrupule :
Il se rend donc chez l'Aigle au grand matin :
Par malheur, on le fait attendre ;
Si bien que le soleil brillait au firmament.
L'Aigle paraît dans ce moment :
C'est donc toi, lui dit-il, qui veux être mon gendre ?
J'y consens ; mais, avant, je veux
Qu'au Roi du ciel, par qui tout vit et tout prospère,
Nous adressions ensemble une ardente prière :
Avec moi lève donc tes regards vers les cieux. »
Le Hibou d'obéir, en faisant la grimace ;
Mais le soleil à peine a fixé son regard,
O contre-temps funeste ! ô fatale disgrâce !
Soudain, son œil louche, hagard
Se trouble, se confond : il frémit, il chancelle,
Et, victime à la fois de sa douleur mortelle,
De sa honte et de ses remords,
Va chercher femme chez les morts,
Tandis qu'en proie à l'ardeur qui l'inspire
L'Aigle, s'élançant dans les cieux,
Et fixant du soleil le disque radieux,
Avec calme se livre au soin de son empire
Dans ce Hibou, dans ce sot orgueilleux
Qui ne verra tous ces ambitieux
Dont la rage funeste et l'aveugle délire
À gouverner l'État osa porter leurs vœux ?
Cependant, quelques-uns, je dois ici le dire,
Au faîte du pouvair chez nous sont parvenus ;
Oui ; mais que sont-ils devenus ?
Le sujet de cette fable est tiré d'un recueil de fables anglaises traduites par madame la comtesse de Guibert.